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        Jusqu’à la fin du dix-neuvième siècle, comme en témoignent les dessins réalisés par l’érudit tarnais Edmond Cabié en 1885 et 1887, (ci-dessus le village de Lagarde Viaur) les versants des vallées (« los travèrses » en occitan) étaient encore, comme aux trois siècles précédents, entièrement cultivés en terrasses, à l’exception de ceux exposés au nord, ou bien vraiment trop pentus.

         La terre des parcelles (toujours de petites tailles) était retenue par des murets (les « paredous » ou « paredors ») qui, de la rivière jusqu’au rebord du plateau, sillonnaient et ceinturaient les versants. Le sol a été épierré, et les pierres ramassées au fil des ans et des générations (plusieurs, vu l’ampleur du colossal travail réalisé !) déposées dans de gigantesques pierriers situés aux endroits les plus pentus et incultivables. Hormis ces zones, tout l’espace disponible était utilisé et valorisé, comme par exemple les versants nord mal exposés fort peu propices à la culture mais accueillants aux châtaigniers, les « arbres à pain ». A l’inverse, les pentes bien ensoleillées des versants tournés au sud étaient en grande partie couvertes de vignes ; c’était le cas aux Infornats , mais plus encore de l’autre côté du Viaur, dans l’Aveyron à Laurélie (commune de Bor-et -Bar), où la présence de la vigne est si intense qu’on trouve, dans les minutes notariales, des vignerons recensés comme tels et non pas simplement des paysans faisant du vin.

          En dehors de ces espaces spécialisés, on cultive en priorité des céréales : le seigle et parfois, mais très rarement, le blé ; l’avoine et le chanvre complètent cette quasi-monoculture. A défaut de disposer de statistiques précises sur les cheptels, les documents notariaux laissent penser que l’élevage ovin est le plus fréquent (« bestes à laine ») et l’élevage bovin (« bestes à cornes ») très marginal. A l’inverse d’aujourd’hui, l’essentiel de la terre est réservé aux « panifiables » et les prés sont peu nombreux. Les arbres fruitiers les plus consommés forment des vergers spécialisés : les pommiers (les « pomarèdes ») et les noyers (les « nogarèdes »), « l’arbre à huile ». De place en place on a aussi planté des pruniers et des cerisiers, voire quelques poiriers mais les arbres les plus nombreux et de loin sont incontestablement les châtaigniers, « l’arbre à pain ».

 

         Sur les plateaux, les productions agricoles sont identiques mais réalisées sans terrasses et sur des parcelles plus grandes et moins morcelées. Au contraire de l’espace des versants, agricolement intensément utilisé à l’époque moderne et déserté de nos jours, les superficies cultivées ne couvrent pas totalement les surfaces disponibles : quelques friches et landes (brugas en occitan) subsistent.

Edmond Cabié, « Les gorges du Viaur », Revue du Tarn, volume n° 8 (1890-91) réédité par l’association « Vent Terral » en 2002.

André Meynier dans « Ségalas, Levezou, Châtaigneraie », 1931, avait recensé le premier les  « villages disparus » de la vallée du Viaur ou du Lézert (Castelmary). Ils étaient le centre de ces terroirs aujourd'hui disparus.

           Au coeur de tous ces hameaux, situés à partir du fond de vallée, environ au tiers du versant, (sauf Pont de Cirou et Montirat, eux sis en bord de rivière ou presque) trônent église, presbytère et cimetière, avec en prime à Jouqueviel, le château du seigneur. S’agglomèrent autour, les maisons aux murs de schiste et aux toitures couvertes de lauzes (certaines de paille ou de genêts) Leurs ouvertures réduites (pas de vitre aux fenêtres) ne laissent guère passer la lumière sauf à l’étage (il y en a parfois deux ou trois) et l’on est souvent à l’ombre dans les étroites ruelles qui les séparent : la place est comptée et à l’origine il fallait se défendre donc on s’est entassé ! Granges, écuries, étables ou bergeries, véritables annexes ne se distinguent guère des habitations et y sont même le plus souvent intégrées, tout comme les ateliers du forgeron ou du tisserand. Sauf à Lagarde Viaur quelques maisons « bourgeoises »  (marchands et gens de justice) ont belle allure, les constructions sont le plus souvent modestes. Aire à battre, fours collectifs ou individuels, fontaines ou puits, tout cela parfois un peu en dehors du village, complètent cet espace bâti.

 

           Sur les plateaux, comme à Bourgnounac, l’organisation générale est la même mais les bâtiments sont plus étalés et la densité de l’habitat bien moindre. En dehors des villages, de nombreux écarts assez régulièrement répartis sur le territoire en un maillage relativement dense, regroupent de un à dix ménages selon les endroits. Là encore, les maisons, hormis quelques fermes imposantes, sont pour la plupart bien modestes.

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          Nous avons peu de détails sur l’habitat. Dans les minutes notariales, les descriptions de maisons réalisées à l’occasion lors des rares ventes immobilières, ou des partages en cas de succession « ab intestat » (sans testament) se réduisent à une simple énumération des pièces composant l’habitation. La maison de base très modeste est composée d’une chambre et d’une cuisine (qui fait aussi chambre …) avec une cave et un galetas (grenier débarras dans les combles). Elle vaut dans la deuxième moitié du dix-huitième, aux alentours de 250 livres, soit une somme relativement modique. Le faible coût de la main d’œuvre et l’usage de matériaux locaux eux-aussi bon marché expliquent sans doute ce niveau de prix.

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         Partant de ces centres habités, rayonnent des chemins ou des sentiers (l’occitan les distingue bien : « carrals/carretals » pour les premiers et « camins » pour les seconds) dont le maillage serré quadrille et contrôle l'ensemble du terroir. Ils amènent les habitants là où le travail les attend : aux champs, aux moulins, aux châtaigneraies, aux sources et fontaines, c'est le réseau du labeur. Même si ses voies sont un plus larges, celui de  l’approvisionnement, qui conduit aux foires et à la ville, ne se distingue guère du précédent et ne sont pas en meilleur état que les autres, tout du moins jusqu’au milieu du XVIIIe siècle. Si une partie de ces axes est encore en place, les moins importants, surtout sur les versants, ont complétement disparu de nos jours.


           

A droite sentier "muletier" et à gauche plus large un chemin d'accès aux champs. Les deux au hameau des Infournats.

Au total, une forte densité de "voies" où l'on circule beaucoup, essentiellement à pied, ou alors grimpé sur son mulet (beaucoup plus rarement sur un cheval). Quand on transporte des marchandises pour aller à la foire (celles de Monestiès et Pampelonne notamment) c’est encore avec son mulet sauf si l’on possède bœufs (ou vaches) et charrettes, ce qui est loin d'être le cas pour tout le monde. Jean Meuvret, « Le problème des subsistances à l’époque Louis XIV. Livre 3.Le commerce des grains et la conjoncture",  Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales, 1988, p 74,  insiste sur le rôle important des convois de mulets dans le diocèse d’Albi pour le transport entre le Massif Central et le Languedoc.

            Pour aller en Rouergue, il faut franchir le Viaur et pour cela prendre le bac : à « Lou Port » (actuellement Port de la Besse, commune de Mirandol), à la Roque, à Lagarde Viaur ou à la Vicasse, quatre endroits aujourd’hui dotés de ponts alors qu’il n’y en avait que deux au dix-huitième siècle : le Pont de Cirou (commune de Mirandol) et le Pont du Diable (commune de Jouqueviel). Ce dernier est  peu engageant et en mauvais état (voir document ci-dessous) ; les réparations demandées, avant même les grandes inondations de 1772, n’ayant pas été faites (le montant du devis était de 26 725 livres, somme que la Province n’a pas débloquée) il s’écroule définitivement à la fin du XVIIIe. Un siècle plus tôt, le pont de Mirandol (près du vieux village, à La Calquière) avait connu le même destin. Les habitants avaient alors demandé, en 1676, des subventions pour sa réparation, puis face à l’attentisme de la Province du Languedoc comme du diocèse *, posé une  " planche (passerelle) à l’androit dudit pont pour y pouvoir passer à pied et à cheval » pour la somme de deux cent cinquante livres. En fait, ces deux ouvrages ne permettaient pas vraiment une grande circulation de marchandises … Et en réalité, seul celui de Pont de Cirou peut servir au commerce interprovincial, bien que mal commode car la route, ou plutôt le chemin, y arrive en angle droit, tant du côté Rouergue qu'Albigeois.     

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 * La Province du Languedoc est sous l’Ancien Régime un « pays d’Etat » où les impôts sont votés par une assemblée d’états qui vote aussi l’usage de certains crédits demandés par les communautés.

Le terme diocèse désigne le plus souvent la circonscription territoriale dirigée par un évêque. Il existe aussi un diocèse civil, comme ici ;  dans ce cas il s’agit d’une circonscription fiscale (division d’une sénéchaussée créée au XIVe).

 Thierry COUËT , "Entre Viaur et Candour  1600-1789"

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