
L'Eglise
Le pouvoir clérical
Nous avons déjà évoqué quelques uns des pouvoirs de l’Église que l’on peut rapidement rappeler pour souligner le poids de l’institution dans le cadre de la vie quotidienne de tout chrétien de l’Époque Moderne.
Comme l’État, elle contrôle une circonscription territoriale, la paroisse, tout aussi importante que la communauté ; on y naît, on s’y marie, on y meurt et c’est le curé qui enregistre le déroulement d’une vie. Certes, on n’y paie pas ses impôts mais la proclamation de la collecte se fait à la messe, où tout le monde est présent…
Le temps est chrétien : les cloches donnent l’heure et battent le rappel au son du tocsin, les dates des contrats chez le notaire suivent le calendrier liturgique et les jours sont désignés par celui des Saints qui fournissent aussi la banque de prénoms des enfants. Ce calendrier est structuré par le cycle de la vie du Christ (Noël, Epiphanie, Pâques, Ascension, Pentecôte) et celles des saints mais en même temps il est étroitement lié à la vie rurale : on fait les contrats à la Saint Michel (29 septembre), on paie les redevances à la Saint-Martin (11 novembre) ; on parle donc de calendrier agroliturgique (voir par exemple Jean Yves Grenier, Katia Béguin, Anne Bonzon, « Dictionnaire de la France moderne », Hachette 2003). Cependant, tous ces aspects généraux de l’importance sociale de la religion ne disent rien du rôle des clercs locaux dans la société.
En réalité nos sources sur ce sujet sont assez minces. A peine une dizaine d’actes dans les minutes notariales consultées concernent les curés de la région et leur contenu (de menus achats/ventes) ne permet guère de mesurer l’influence des prêtres locaux qui sont pourtant nombreux (onze dans le rôle de la capitation de 1696). Les deux affaires en justice où des ecclésiastiques (le chanoine de Saint Salvy d’Albi et le curé de Saint Grégoire en Rouergue) ont porté plainte pour des impayés montrent qu’ils pouvaient éventuellement prêter de l’argent aux paroissiens mais dans ce domaine, les curés, -c'est-à-dire les prêtres qui officient dans une cure (église paroissiale principale)-, s’ils sont à l’abri du besoin – sans plus - grâce à la portion de dîme qu’ils reçoivent sont bien loin d’avoir le pouvoir financier des marchands locaux !. En outre, ceux qui sont dans une annexe, les vicaires touchent moitié moins de dîme. En janvier 1686, « la portion congrue », c'est-à-dire la part de dîme reversée aux curés est portée par une déclaration royale à 300 livres sur tout le royaume. Elle est réévaluée un siècle plus tard à 700 livres en raison de l’inflation qui frappe le monde rural, surtout après 1770. Les prêtres bénéficient aussi du « casuel », contribution des fidèles (souvent en nature) aux sacrements. Dans l’Albigeois selon Olivier Cabayé et Guillaume Gras (L’Albigeois au XVII e siècle op. cit, p 102) ce revenu doit « rarement dépasser la trentaine de livres ».
Donc, le clergé local ne dispose pas, sauf fortune personnelle et c’est rare, de beaucoup de capitaux à placer. Leur poids dans la communauté n’est pas financier, leur influence ils la doivent bien sûr à leur magistère. Qu’en était-il exactement ? Difficile à dire. Les seules indications de l’influence « spirituelle » des curés, nous les avons dans les dossiers concernant la rébellion des paysans de Jouqueviel contre leur seigneur. A toutes les phases du conflit, le clergé local (curés des Infornats, de Jouqueviel, de Canezac) s’implique en soutenant la communauté contre le seigneur. Mieux, le 20 août 1680, Vincent Jacquelin, recteur de Canezac est choisi comme député des « manants et habitants de la terre et juridiction de Jouqueviel » (dixit René de Faramond), pour négocier avec le baron. Ce rôle de « prêtre médiateur » (Serge Brunet, « Les prêtres des campagnes de la France du XVII e siècle de la France du XVII e siècle : la grande mutation », Dix-septième siècle, 2007/1 (n° 234), pages 49 à 82 … oppose au prêtre médiateur la figure du « prêtre procédurier » qui a tendance à se développer au XVIII e siècle.)découle presque naturellement de sa situation de « lettré » dans une société peu alphabétisée mais dans cet épisode majeur de la vie de la communauté, il fallait que celle-ci ait une solide confiance en son clergé.
Il faut préciser que ses membres sont très souvent issus de familles « du cru ». Nous l’avons vu avec François de Rodat, né à Pont de Cirou et curé à Jouqueviel (1687) et son frère Antoine l’est lui sur son lieu de naissance (1696) mais aussi avec les frères Balssa, Pierre et Jean, nés à la Borie de Lézan et respectivement curé de Jouqueviel et doyen des Infornats. Serge Brunet,( « Les prêtres des campagnes op.cit,) montre que certaines régions et notamment le Rouergue tout proche « produisaient » des prêtres issus de familles rurales « relativement » modestes. Nous sommes ici dans cette configuration.
Dans son "Répertoire géographique des étudiants du midi de la France (1561-1793) ", Patrick Ferté a classé ces derniers par lieu de naissance, indiqué leurs diplômes (ou inscriptions universitaires) et, si elles sont connues, leur destinée professionnelle. Ainsi nous apprenons que François Innocent Alary, doyen des Infornats (à partir de 1782) est originaire de Pampelonne et que Joseph Fricou, curé de Saint-Christophe (1743-1775) est né à la Pégarié, toute proche. Il est clair que nous avons affaire à un « clergé du terroir » qui parle l’occitan local, connaît les familles et n’a pas à faire d’effort pour s’insérer dans le tissu social dans lequel il est immergé. C’est un énorme atout de proximité avec les fidèles.
L’énorme travail de Patrick Ferté nous permet aussi de voir que dans nos trois communautés, au total sur deux siècles, ce sont une quinzaine d’étudiants qui ont poursuivi des études supérieures [près la formation littéraire générale (maîtrise ès arts) trois voies : théologie, droit, médecine] ; c’est évidemment, en chiffres absolus fort peu mais, compte tenu du contexte démographique et socio-économique, notable et non négligeable. C’est la Garde Viaur qui avec neuf étudiants (dont trois de la famille Moly) contre cinq pour Montirat se détache nettement. La communauté de Mirandol n’a qu’un membre de la famille Rodat de Pont de Cirou qui a fait des études (droit civil) et celle de Jouqueviel aucun. Cette hiérarchie n’est pas surprenante. Seule La Garde Viaur possède un embryon de bourgeoisie judiciaire qui envoie ses enfants faire des études plutôt de droit que de théologie (sept contre deux), majoritairement à Toulouse mais aussi à Cahors et Montpellier. A Montirat et Pont de Cirou, ce sont les familles des plus « riches paisants/marchands » qui dirigent leurs enfants plutôt vers la théologie (quatre contre deux). Jouqueviel, communauté plus pauvre et de taille plus réduite n’a pas eu d’habitants capables d’offrir à ses enfants un accès aux études universitaires. A noter l’absence totale d’étudiants en médecine.
Si les prêtres sont des « locaux » bien insérés socialement, ce n’est pas pour autant une garantie d’être accepté par tous les membres de la communauté, comme le montre le document suivant :
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« L’an mil six cent nonante neuf et le dixieme jour du mois de décembre avant midi au lieu des Infornats, en Albigeois, régnant Louis roi de France et de Navarre, devant moi notaire et tesmoins bas nommés ont esté en leur personne Pierre Gairard, Baltezar Lacoste, François Espierre, Laurens et Pierre Malaterre, [surcharge] Pierre St Genieys et Jean Paraire travailleurs dudit lieu des Infornats et Barthélémy Plancade dudit lieu Jean Roussignol paysan, Barthélémy Plancade et Pierre Ivern du village de La Borie, paroisse dudit lieu des Infornats, lesquels dressant leurs parolles par le présent acte qu’ils veulent faire signifier à Jacques Rainal travailleur du village de Lauretié, auquel ils ont dit qu’ils demeurent avertis quil a este nommé syndic par divers parroissiens desdits Infornats pour intenter un procés contre monsieur le doyen du lieu, sous prétexte de certaines préventions qu’ils ont contre ledit sieur doyen concernant la refonte de la cloche les réparations de l’esglise des dits Infornats la diminution de la ruse et de la dixme et le paiement ou le don de la dixième partie de son revenu et dautant que ledit proces n’a esté fait au sieur doien que par un esprit de chicanne, lesdits requérants déclarent au dit Rainal prétendeu scyndic qu’ils ne veulent point adherer n’y estre joints audit scyndicat et qu’en cas ils y auraient este comprins ; ils le désavoüient désapprouvent et révoquent en tant que de besoin attendeu que ledit sieur doyen leur a toujours offert et leur offre encore de soumettre tous les différens qu’ils ont ensemble a la descision et jugement d’advocats de quoi lesdits requérants protestent audit Rainal et qu’ils ne prétendent directement n’y indirectement faire aucune poursuite audit sieur doyen veu lesdites offres, n’y par conséquence contribuer a auquins frais et débour, ce qu’ils peuvent et doivent de droit protester et mont requis de prendre acte, la présence d’Antoine Martin et Jean Miquel praticien de Canezac soussignés lesdits requerants ont dit ne scavoir signer de ce requis »
Minutes de maître Albar 1699, folio 75, A.D.T, 3 E 32/299.
Le syndic, ici mis en cause par une partie des habitants des Infornats, est un représentant de la communauté qui a un statut assez flou. Sa fonction est, à cette date, mal reconnue par l’administration royale et ses prérogatives sont mal définies, au contraire de celles des consuls, mais comme eux, il est élu par les chefs de ménage de la communauté, ordinairement pour un ou deux ans. L’élection de Jacques Rainal (Raynal ou Reynal) ne fait pas ici l’unanimité et le différend devait être assez radical pour que les habitants, même poussés par leur curé doyen (Guilhaume Groc), aillent chez le notaire, afin d’y officialiser leur opposition. Le conflit, au-delà de son origine financière (montant de réparations, dîme…) semble aussi lié à la personnalité du doyen. Il est clair que le pouvoir du clergé local est ici remis en cause par le syndic et ses soutiens. Pour éclairer le clivage au sein de la population, une analyse sociologique de la liste des protestataires n’apporte rien : ils sont tous brassiers comme le sont les autres habitants des Infornats, puisqu’il n’y a qu’un seul laboureur qui y réside. Ce que l’on peut souligner c’est que Jacques Rainal, le syndic, lui n’est pas brassier, si l’on en croit le registre de capitation de 1696, mais laboureur. On peut aussi s’étonner qu’il n’habite point le hameau des Infornats mais un écart de la paroisse (Lauretié). Ces deux éléments nous laissent à penser que sa représentativité pouvait laisser à désirer tant du point de vue social que géographique mais on ne peut guère avancer plus loin dans l’explication de cette querelle de clocher qui montre cependant que la gestion des affaires locales n’échappait pas aux tensions et que le clergé au sein de la population pouvait être en même temps, apprécié par certains et contesté par d’autres …