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De la recomposition des couples

              Dans nos sociétés contemporaines le divorce a multiplié les familles recomposées, à l’époque moderne c’est la mort qui recomposait. Nous l’avons déjà dit, dans la France d’Ancien Régime, en moyenne, au moins un mariage sur quatre est un remariage (un peu plus au XVIIe). Les variations peuvent être assez fortes selon les régions et les périodes, ainsi les taux « bondissent » après une crise démographique qui rompt de très nombreux mariages alors qu’ils ont tendance à baisser, par exemple dans la seconde moitié du XVIIIe siècle, lorsque la mortalité diminue un peu. Seule la reconstitution des familles permet de mesurer le phénomène avec un peu de précision mais le remariage n’est pas toujours facile à cerner complétement car ce travail de longue haleine peut être compromis par  la plus ou moins bonne tenue des registres. Pour la paroisse des Infornats dans la seconde moitié du XVIIe siècle les remariages représentent environ 20 % des unions. Comme partout, le cas le plus fréquent est celui d’un homme veuf se remariant avec une femme célibataire ; en moyenne en France, c’est le choix effectué par deux veufs sur trois et une veuve sur deux. Les remariages entre veufs sont minoritaires. Si les hommes ont tendance à se remarier assez vite (moins de deux ans après le veuvage, parfois trois mois seulement), ce n’est pas le cas des femmes : seules les veuves jeunes ont tendance à se remarier et quand elles ont plus de 45 ans, le remariage est rare.

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               Prenons quelques exemples choisis dans trois milieux différents :

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- Un marchand. Le 29 avril 1749, Durand Jean, 23 ans, fils de praticien de la Borie de Lézan  épouse Anne Balssa, 21 ans fille de praticien (Balssa Jean / Rossignol Anne) elle aussi de la Borie de Lézan. Ils ont ensemble cinq enfants dont Jean-François l’aîné, en 1751. Ce dernier qui a embrassé la profession de marchand, épouse le six février 1670, précocement, à l’âge de 19 ans, Catherine Vedel (fille de praticien …) dont il a deux enfants : Anne-Marie le 7 avril 1771 et Catherine le 31 mars 1773. L’année suivante, le 22 septembre, la mère meurt à l’âge de trente ans. Il se remarie cinq ans plus tard (voir plus haut la transcription de son acte de mariage en date du 27 janvier 1779, dispense au quatrième degré) avec Ychard Anne-Marie (22 ans), jeune fille de marchand. Lui aussi est encore jeune (28 ans et non pas 26 comme indiqué dans l’acte de mariage) et ses secondes noces sont prolifiques : six enfants nés entre 1779 et 1790. La famille recomposée semble soudée puisque les deux dernières filles, Marie-Rose et Catherine, ont pour marraines leurs demi-sœurs Anne-Marie et Catherine âgées, lors des baptêmes, de 16 et 17 ans.

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- Un laboureur. Le 2 juillet 1743, Vedel (ou Bedel) Barthélémy, laboureur de Canezac (communauté de Montirat) épouse Masenq (ou Mazenc) Catherine de la Borie de Lézan. Le couple a quatre enfants, échelonnés de 1747 à 1754. L’épouse meurt le 14 décembre 1756, à l’âge de 28 ans. Six mois plus tard, le 22 juin 1757, Barthélémy se remarie avec Reynes Marie (dans l’acte de naissance des deux premiers enfants elle est appelée Jordy, fille de Georges) avec qui il a trois enfants : François (1758) qui meurt à l’âge de trois mois, Françoise (1759) et Catherine le 30 septembre 1762. Cette dernière a pour marraine sa demi-sœur de même prénom et née en 1749 de la première union.

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- Un brassier. Antoine Raynal né à Laurétié le 24 mars 1716 épouse le 9 février 1739 (23 ans), Marguerite Gayrard (30 ans). Le couple a deux enfants, Pierre en 1741 et Catherine en 1743. Infra (p 89), nous évoquons la figure de Pierre Raynal brassier endetté. L’épouse meurt probablement à 35-36 ans, en 1745-46 (deux années manquantes dans les registres paroissiaux) et Antoine Raynal se remarie l’année suivante avec Jeanne Cambart (ou Cambarde), matrone (sage-femme) qui si l’on ose dire maîtrise bien son métier … puisqu’ils ont ensemble sept enfants entre 1747 et 1760 (le mari a alors 44 ans).

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           Evidemment, ces trois exemples isolés ne peuvent être érigés en modèles mais ils illustrent bien, une réalité courante de l’époque moderne (environ un quart des mariages nous l’avons vu). Des hommes relativement jeunes voient leur couple se briser brutalement par la mort de leur épouse. L’inverse est également vrai, et pratiquement dans les mêmes proportions, tout du moins avant 40 ans ; ensuite la surmortalité féminine est nette jusqu’à la cinquantaine et enfin c’est l’inverse jusqu’à 70 ans. Les remariages des veuves sont moins nombreux, ce qui explique que nos illustrations sont avant tout masculines. Les familles recomposées, ici présentées, ont au total, respectivement 7- 9 et 11 enfants, ce qui est au-dessus de la moyenne des familles sans recomposition. Deux (voire trois) mariages allongent automatiquement la période de fécondité et agrandissent la taille de la famille.

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            Même si c’est un indice, on ne peut, à partir de deux exemples où les marraines des derniers nés sont les enfants du premier lit, établir que les familles recomposées ont bien intégrés les « parastres » et « marastres », par ailleurs tant décriés dans la littérature de l’époque (le conte de Charles Perrault « Cendrillon » en est l’exemple le plus connu).. On ne doute pas que l’intégration pût être réussie au quotidien, il n’empêche que les dispositions des contrats de mariage, comme celles des testaments, organisaient la transmission du patrimoine, en distinguant très soigneusement les « lits ». Et bien entendu, quand cela n’était pas suffisant, les parties pouvaient porter leur cause en justice. Tous ces mécanismes légaux et coutumiers témoignent de la méfiance envers les secondes (voire tierce et quarte) noces bien qu’elles soient une réalité ordinaire et répandue avec un remariage masculin systématique et rapide (de trois mois à deux ans). A cet égard, notre marchand Jean Francois Durand sort de l’ordinaire puisqu’il attend cinq ans pour le réaliser. Il faut sans doute y voir là, la rareté, dans les communautés proches, des possibles promises de son rang ; d’ailleurs il épouse une « parente » (dispense au quatrième degré).

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 Thierry COUËT , "Entre Viaur et Candour  1600-1789"

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