
L'Etat
Lever l’impôt
Le renforcement de l’Etat, surtout pour les débuts de notre longue période n’est plus à souligner mais, au jour le jour, le pouvoir royal peut sembler bien faible, tout autant qu’il est géographiquement bien lointain.
Son exercice le plus visible, le plus régulier et sensible est celui de la perception de l’impôt : la taille, à laquelle s’ajouteront la capitation (après 1695) et le dixième (1710) remplacé ensuite par le vingtième (après 1749).
« L’an mil sept cent quatre vingt neuf et le vingt sixième jour du mois d’avril au lieu de Bourgnounac en Albigeois sénéchaussée de Toulouse par devant nous Jean François Seyriès avocat en Parlement notaire royal de la présente communauté de Mirandol et dans notre étude présents les témoins sous écrits ; a été en sa personne Jean Louis Roumegous fils, habitant du village du Gourp paroisse de Canezac au dit Albigeois, taillable dans la communauté de Joqueviel au dit Albigeois, lequel nous a dit que par exploit en forme dacte du quinzième du courant fait par Pradal huissier, controllé à Monestiès le dix sept il aurait fait offre de faire la levée des tailles de la communauté de Joqueviel en parlant à Pierre Casté consul dudit Joqueviel a son domicille au dit Bosq A lheure de minuit à raison de cinq deniers pour livre et offert de donner bonnes et suffisantes cautions, et ledit Casté étant icy présent ledit Roumegous lui a presenté pour cautions les personnes d’André Reynes habitant du village du Gourp, Louis Roumegous père dudit offrant, Jean Pierre Doumayrou massage de Montirat, Jean Muratet laboureur du village du Bosq, avec offre de les renforcer en cas dinsuffisance, lesquels dites cautions ici présents promettent solidairement relever indemme ladite communauté de Joqueviel envers le receveur desdites tailles, la présente année en capital frais, se soumettant à touttes contraintes ainsi quil est acoutummé des us pour affaires et deniers du roy, lesquelles caution ledit Casté consul ayant trouvé suffisants contant que le rolle de ladite taille de la présente année qui seront imposées sur ladite communauté soient délivrés audit Roumegous à la charge pour luy de les représenter chaque mois à ladite communauté pour etre vériffié déclarant les dites parties le droit de levures des dites tailles à raison de cinq deniers pour livre pouvoir revenir à la somme de quarante six livres (…)
Minutes de Jean François Seyriès notaire, 1789, folio 52.
Ce texte illustre la procédure de levée de la taille au niveau local, dernier échelon d’une procédure complexe partant de l’État central qui lui, se contente de fixer un montant global d’impôts (il n’y a pas que la taille mais cette dernière en est le principal) que les États du Languedoc votent annuellement puis répartissent par diocèses [22 au total mais attention : circonscription ici fiscale et non pas religieuse (rien n’est jamais simple dans l’administration !)]. Ces derniers, à leur tour, font une répartition par communautés qui, elles, sont chargées de fournir les collecteurs de taille, selon des règles contraignantes, dictées par la loi. La première est celle de la date : les impôts sont proclamés à la messe trois dimanches consécutifs (en avril jusqu’en 1709 puis en février après) et les adjudications doivent se faire quelques semaines plus tard : en juin avant 1709, en avril après, comme c’est le cas ici. Elles se font aux enchères, avant minuit : c’est pourquoi, Jean Louis Roumegous, notre collecteur volontaire, un taillable « local » comme le précise le notaire (c’est la règle aussi à Mèze étudié par Stéphane Durand) est chez le consul à minuit. L’on prend le candidat qui demande le moins cher (« le moins disant ») pour collecter la taille. En ce qui concerne la capitation et le vingtième, il n’y a pas d’enchères, mais un taux fixe de six deniers par livre, soit 2,5 % « d’intérêts ». Notre volontaire, avec cinq deniers par livre (2 % : Une livre vaut 240 deniers donc 1OO/240 X 6 = 2,5 % et 1OO/240 X 5 = 2 % d’intérêts.) est en dessous du taux fixe des autres impôts mais tout à fait dans la moyenne de la Province en ce qui concerne la taille. En Languedoc, ce « taux de levure » est au XVIIIe siècle en baisse constante. Pour que les offres soient validées, il faut des cautions et l’approbation du consul qui, en cas de difficultés, devra faire face aux éventuels procès qui se terminent à la cour des Aides à Montpellier. Les collecteurs d’impôts n’en sont pas à l’abri car le système de répartition du montant total de la taille, fondé sur un compoix qui n’est pas toujours à jour, laisse libre cours à d’éventuelles contestations. Ainsi, René de Faramond, baron de Jouqueviel, en désaccord avec le montant de la taille qu’il doit payer (les nobles paient pour leurs terres si elles sont « roturières ») y est en procès contre la communauté de Jouqueviel, entre 1681 et 1684.
La taille génère de nombreuses contestations, on en trouve les traces dans les cahiers de doléances pour les Etats Généraux de 1789, par exemple celui de Monestiès (A.D.T. série E, 1755, AA1) où les vices du système, dénoncés clairement, sont en tête des revendications :
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« Article un : la suppression des impositions actuelles, et notamment de la Taille, comme étant répartie sur des tarifs très vicieux et erronés.
Article deux : Que dans le cas qu’il y eût de l’inconvénient à supprimer les tailles, elles fussent au moins réparties avec justice, et proportionnellement à la qualité et à la position des terrains ».
Mais localement, le très faible nombre de recours en justice - deux seulement pour la justice seigneuriale de Jouqueviel entre 1767 et 1789 - montre que face au fisc, les plaintes ne dépassent pas souvent le stade de la récrimination de conversation et que pour porter l’affaire jusqu’au tribunal, il faut de sérieuses motivations et de solides preuves.
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A noter que le collecteur règle la totalité de l’impôt au diocèse, bien souvent avant d’avoir terminé la levée des fonds et qu’il est responsable sur ces deniers de la somme à collecter. Cela peut expliquer qu’il n’y a pas toujours des volontaires … et dans cette situation, le consul est requis d’office ou bien … nomme un responsable à sa place. En cas de défaut de paiement le collecteur peut s’adresser à la justice :
« Entre Anne Reynes veuve et héritière de Raymond Andrieu habitante du village de La Fage demanderesse par exploit du 22e avril 1775 […] à ce que Antoine Martin marchand habitant du lieu de Montirant en qualité d’acquéreur du domaine du château de St Hilaire soit condamné à payer à la requérante […] la somme de dix huit livres quatorze sols et neuf deniers pour reste de l’article de taille due par ledit château et domaine de l’année 1750 à feu Pierre Andrieu beau frère de la demanderesse en qualité de consul collecteur de la communauté de Joqueviel […]
Raymond Andrieu, est né en 1695, marié probablement vers 1636 et décédé en 1768. Antoine Martin a acheté le « château » en 1772. La demande d’Anne Reynes est pour le moins tardive mais les recours en justice à l’époque moderne se font bien souvent très longtemps après l’origine des dettes (ici vingt-cinq ans après), généralement à l’occasion d’une liquidation de succession.
En premier renvoi, Antoine Martin oppose comme défense qu’il ne doit rien et que ladite Reynes doit «s’en prendre avec les héritiers de Monsieur de Saint-Hilaire ». Nous ignorons l’issue finale de cette affaire.
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Le collecteur dispose de la possibilité de faire saisir les « fruits » voire les biens des mauvais payeurs. La menace semble efficace si l’on en croit le document suivant qui met aussi en valeur le phénomène des « ventes contraintes » de terre :
« L’an mil sept cens soixante deux et le douzième jour du mois d’octobre avant midy à Lagarde Viaur en Albigeois (…) Antoine Bories travailleur, habitant du village de la Bessède, paroisse de Montirat lequel pour se délivrer de la persécution que luy fait ledit Pierre Traynier collecteur de la présente communauté de Montirat et Lagarde Viaur pendant plusieurs années, à cause de quarante trois livres qu’il luy doit pour arrérages de taille et de capitation (…) et qu’il luy doit malgré les saizies des fruits que ledit collecteur luy a fait faire la presante année et pendant les deux dernières suivantes et précédantes quy ne luy [surcharge peu lisible] rien produit à cause de la médiocrité de la récolte (…) et pour éviter la saizie générale de ses biens que ledit collecteur a résolu de luy faire et dont ledit Bories n’a arrêté le cours que sous la promesse que ledit Bories luy a faite de le payer incessamment (…)
fait vante pure et perpétuelle relaxante à Pierre Alaux travailleur habitant du même village de la Bessède (…) d’une petite pièce de terre (…) de la contenance de trois mesures ou environ (…) quitte des arrérages de taille et des censives (…) relevant de la directe de Monseigneur l’Archevêque d’Alby seigneur du présent lieu (…) moyennant le prix et somme de soixante quinze livres en diminution de laquelle somme (…) ledit Bories a chargé ledit acheteur d’en payer quarante trois livres audit Pierre Traynier collecteur (…) ledit Bories reconnaît et confesse avoir été payé dudit Alaux de la somme de vingt trois livres depuis environ quinze jours (…)
Folio 57, minutes de Maître AYME, 1762 A.D.T 3 E 32/319
Pierre Traynier semble être un collecteur particulièrement tenace envers les mauvais payeurs : il utilise la même méthode envers un couple séparé de biens (Jean Rossignol laboureur au Mur et Jeanne Marie Traynier) qui après poursuite et saisie de biens est dans l’obligation de vendre des terres pour payer les trois années de taille dues (1761-1763).
Au cours du XVIIe siècle, le montant total de l’impôt est multiplié par sept pour l’ensemble du diocèse et suscite dans le tout proche consulat de Valence des résistances importantes. Pour notre partie du Ségala tarnais nous n’avons pas trouvé de sources mentionnant de tels mouvements ; cela ne signifie pas leur absence mais s’ils ont existé, ils devaient être de faible ampleur pour ne pas avoir laissé de traces dans les archives. Au XVIIIe la pression fiscale continue (doublement) mais dans un contexte économique moins difficile et les contestations, à l’échelle nationale diminuent. Cette baisse de pression fiscale (relativement aux revenus) est inégale selon les régions et elle est peu marquée en Languedoc.
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