
La Communauté
Le pouvoir "communautaire"
En dehors de l’épisode très particulier de la lutte contre la famille de Faramond à Jouqueviel, (voir chapitre l'affrontement) dans les minutes notariales, quelques délibérations des assemblées des habitants sont enregistrées et permettent d’éclairer un peu le fonctionnement local de cette institution.
« L’an mil six cens nonante six et le doutzieme jour du mois de may, à Lagarde Viaur en albigeois, communauté assemblée en conseil général pardevant maître Simon Traynie docteur en droit, viguier dudit Lagarde et Montirat, ont comparus messieurs Bernard Blanc praticien du village del Mas, Geraud Bories praticien et Pierre Pilot dit Giréon dudit Lagarde et Jean Reynes paysant du Gourc, consuls modernes dudit Lagarde et Montirat quy ont represanté à lassemblé qu’il y a un petit patus audit Lagarde, lieudit à la porte haute, confrontant avec la murailhe de la ville, patus et maison de messire Francois Aymé, inutile a la communauté et ne sert de rien, lequel patus ledit sieur Aymé a offert dachepter et de remettre le prix d’ycelui aux consuls pour estre employe aux affaires et utilite de la communaute et encore ledit Aymé, ici présent, a offert de remettre et randre ledit patus a ladite communauté en cas de guerre ou autremant pour le service et déffance dudit lieu et utilité publique, requérant lassemblée de délibérer sur ce dessus.
Sur quoy ouys messire Jean Miquel procureur juridictionnel bourgeois du Cros, Jean Bories, François Miquel, Pierre Birbal praticiens dudit Lagarde, Pierre Mercadier praticien de Lagarde, François Gailhard greffier dudit Lagarde, Jean Fricou de la Bourdarie, Jean Serres praticien de Viaur, Pierre Traynie de la Beaute, Anthoine Alaux de la Regaudié, Jean Alaux de Laborie, maître Jean Albar notaire de Canezac, François Balssa praticien de Montirat et Jean Alaux de la Pradelle,
A esté delibere dun commun advis et consentement, qu’il est donne pouvoir aux dits consuls de vandre audit siur Aymé ledit patus au prix quil sera par eux estimé, ou quils trouveront a propos, a la charge d’employer le prix d’ycelui aux affaires et utilités de la communauté, et a la charge suivant loffre dudit Aymé de pouvoir randre ledit patus en cas de besoing pour le service et defence du lieu en cas de guerre de sa majesté et pour le service aussi du public
Ainsi a este délibéré ledit jour (….) Soussignés avec nous et notre greffier »
Minutes de maître Albar 1696, folio 7, A.D.T, 3 E 32/299.
« L’an mil six cens nonante huit et le vintiesme jour du mois de juillet après midi au lieu de Canezac à lissüe de vespres* régnant Louis roi de France et de Navarre devant moi notaire et tesmoins bas nommés a esté en sa personne Jean Bauguil praticien de la Rigaudie marguilier** de lesglise dudit Canezac lequel avec la présence de Salvi Duran du village de la Pradelle consul de Montirat et Lagarde la présente année, de Jean Alaux praticien dudit la Pradelle, Antoine Madern et Jean Balsa de Gaffatou, d’Antoine Vidal laboureur dudit village de Gaffatou, Pierre et Jean Reynes paysans du village del Gourc, Me Jean Fricou marchand, Me Dominique Martin marchand, Jean Routanoulp praticien, Domairou paysan, Jean Mairan maçon du village de la Pradelle, Barthelemy Vedel dudit Canezac, Pierre Madern de la Nougairie, Jean Balsa praticien de Palaporc, Jean Fricou praticien de la Bourdarie, auxquels il a dit et representé qu’il avoir fait accomoder les [?] et ferremens des cloches de ladite esglise que les ouvriers veulent estre payés et que d’ailleurs le toit du clocher et des chapelles a besoin de recouvrir et qu’il seroit important defer [blanchir?] ou [provoquer ?] ledit clocher pour l’empecher décrouler et pour plusieurs autres raisons requérant les susnommés de déliberer la dessus
Surquoi lesdit Duran, Alaux, Madern, Balsa, Vidal, Pierre et Jean Reynes, les sieurs Fricou, Martin, Routanoulp, Doumairou, Mairan, Vedel, Madern de la Nougairie, Balsa de Palaporc tous d’une commune voix et opinion ont resoleu et déliberé résolument et déliberement qu’il est utile et nécessaire de fer repasser et recouvrir les toits des chapelles et clocher ensemble de faire [ ?] et blanchir icelui et que pour subvenir au prix fait pour raison des dites cloches ou à faire touchant lesdites réparations il sera fait un despartement de la somme de quatre vint livres qui sera divisée sur chacun des paroissiens dudit Canezac feu par feu, lequel despartement sera composé de trois classes et [ ?] chacun suivant sa comodité et aleffair de la dite division et despartement ils ont comis et déprisé et donné pouvoir auxdits Duran et Bauguil spécialement audit Bauguil de faire la levée de ladite somme pour faire faire lesdites réparations et maneuvres et payer les ouvriers qui ont travaillé ou qui seront employer et en cas ladite somme de quatre vint livres ne seroit pas suffisante a cet effet il sera fait un autre despartement […]
Figurent onze signatures au bas de l’acte pour seize participants.
Minutes de maître Albar 1698, folio 42, A.D.T, 3 E 32/299.
* Vêpres (prières du soir) : on se réunit ici dans l’église ; le sujet s’y prêtait.
** Le marguiller est un civil chargé de gérer les biens de la paroisse.
Si tous les chefs de feux masculins inscrits sur les rôles de taille (ou de la capitation) peuvent en théorie être présents aux assemblées d’habitants,du moins jusqu’à l’édit de juin 1787 qui met en place une imposition minimum de dix livres, ce n’est en général qu’une minorité d’entre eux qui y siègent. Leur délibération engage les absents. Le Ségala n’échappe pas à cette règle générale. Ici, ce sont une quinzaine de chefs de feux (sans compter viguier, consul et marguillier) qui délibèrent, soit environ 4 % des ménages de la communauté. Une petite minorité … En quelque sorte une oligarchie [Au sens strict le gouvernement des meilleurs (la plus « saine partie »), plus largement un gouvernement contrôlé par quelques uns (richesse, force militaire …].
Qui sont ces délibérants ? Ils sont tous recensés dans le registre de la capitation de 1696, sauf Simon Traynié, le viguier (juge local) et Salvi Duran le marchand de la Pradelle ; on connaît donc leur contribution fiscale, leur condition et la constitution de leur ménage. Pour leurs professions, on peut noter quelques différences entre les données notariales et fiscales. Ainsi, les personnes qualifiées de « praticiens » par maître Albar sont, dans le registre de la capitation, désignés soit comme « paysant » (Blanc Bernard au Mur, Jean Routanoulp) ou laboureur (Géraud Bories, Pilot Pierre) voire encore brassier (Jean Serres du Viaur) mais jamais comme praticien. Il y a inflation de praticiens dans les registres notariaux, on ne sait trop pourquoi …. On peut aussi noter que Pierre et Jean Reynes, paysans pour maître Albar, sont pour le fisc, le premier tisserand et le second forgeron. François Gailhard, le greffier, est prénommé Jean dans le registre de la capitation et enfin Jean Mairan fiscalement charpentier à la Pégarié est pour le notaire maçon à la Pradelle, gageons que pour ce dernier cas, le notaire aurait plutôt raison : il habitait juste à côté ! L’acheteur du patus, François Aymé, dont maître Albar ne signale pas la profession est le chirurgien de Lagarde Viaur.
Ces divergences de statut professionnel, finalement sans grande importance, ne doivent pas masquer l’essentiel : les habitants délibérant à l’assemblée sont presque tous des « notables » à l’échelle locale.
Dans la délibération sur l’église de Canezac, onze présents sur seize savent signer, proportion bien au-dessus de la moyenne ! Autre preuve de « notabilité » mais cette fois fiscale : le montant de leur contribution moyenne à la capitation est de trois livres dix sols, alors que le contribuable local moyen, ne règle lui, qu’une livre dix sols. Si la majorité des délibérants est largement plus aisée que la moyenne des habitants, et si aucun pauvre n’est dans l’assemblée, on peut tout de même souligner la présence de quatre brassiers faiblement imposés pour trois d’entre eux. Cette présence des brassiers est également notable lors de l’assemblée communautaire du vingt avril 1681 qui engage les négociations avec le baron. Il n’y a donc pas exclusion lors des délibérations de cette frange importante de la paysannerie locale (40 % de l’effectif des paysans) même si ce sont laboureurs et « paysants » qui dominent l’assemblée, alors qu’ils sont très loin d’être majoritaires socialement. Soulignons que le notaire, dans le premier cas ci-dessus, ne se contente pas d’être un rédacteur de la séance mais est partie prenante des débats.
Le terrain fut négocié six livres et sa vente fut enregistrée le 19 juillet de la même année. Au regard de la somme ce devait être effectivement un petit patus et un bien maigre apport au budget communautaire.
Quand il faut engager des dépenses, la communauté a le pouvoir de lever des fonds comme on le voit avec les frais des réparations des cloches de l’église de Canezac. Lors de cette assemblée des habitants, seuls trois d’entre eux (Alaux Jean de la Pradelle, Jean Fricou de la Bourdarié et Jean Reynes du Gourc) délibéraient déjà pour le patus. Il y a donc une forte fluctuation des participants d’une réunion à l’autre, mais cela peut s’expliquer par les affaires traitées, puisque la première concerne Lagarde Viaur et la seconde Canezac, deux hameaux, certes de la même communauté, mais de deux paroisses différentes et géographiquement un tout petit peu éloignées. Cependant, on trouve aussi une constante remarquable : les présents sont majoritairement et - dans le deuxième cas, totalement - des laboureurs ou « paysants », gros contribuables (pour la région). Ce sont bien eux qui contrôlent les affaires de la communauté. La représentativité dans les assemblées communautaires est de fait et non pas de droit, limitée aux « principaux » habitants. Cette institution à laquelle l’on a pu parfois coller l’étiquette de « démocratie rurale » se rapproche nettement plus du système censitaire où seuls les » riches » participent et d’ailleurs, c’est au sein de la fraction la plus « aisée » de la population que l’assemblée recrute chaque année les consuls chargés de la répartition des impôts.
Dans nos deux exemples, l’unanimité de décision semble être la règle. Mais par nature, les rapports notariés ne sont pas établis pour mettre en valeur les éventuelles divergences internes de la communauté même si nous avons vu, a contrario, qu’elles pouvaient parfois y laisser des traces …