On s'arrange chez le notaire
« L’an mil sept cent quatre vingt neuf et le quinzième jour du mois d’octobre au lieu de Bourgnounac en albigeois sénéchaussée de Toulouse sous le reigne de Louis seize par devant et dans l’étude de nous Jean François Serieys avocat en parlement notaire royal de la présente communauté de Mirandol, présents les tesmoins sous écrits : a été en personne Marie Mader fille d’Antoine Mader journalier habitant du village de Lhiaumies, paroisse de Saint Jean de Prunet dudit albigeois, dudit Mader son père ici présent, duement assistée a leffet du present, laquelle Mader de gré s’est volontairement desistée de touttes demande actions dommages quelle pouvait avoir droit et prétendre contre Pierre Ginestet dit Courbin journalier dudit Bourgnounac ici présent, acceptant à raison du commerce qu’il a eu avec elle et des œuvres duquel elle se trouve enceinte, ledit désistement a fait moyennant, la somme de soixante douze livres pour lesdits dommages frais des couches et prétentions quelconques, en déduction de laquelle somme ledit Ginestet sera tenu comme il promet payer à ladite Mader dans huitaine, celle de trente six livres et pareille restante dans deux mois à compter de ce jourdhuy, et à condition que ledit Ginestet sera tenu de se charger de lenfant dont ladite Mader accouchera, le faire baptiser élever en la religion catolique apostolique romaine, luy faire apprendre un métier ainsi et de même qu’un père de famille est tenu de le faire pour ses enfants légitimes, sans lesquelles sommes et réservations le présent naurait été consenti pour lexecution duquel parties chacune comme les concerne ont oblige et soumis leurs biens et justice fait recité présents maître Paulin Pauzie diacre et Jean Pauzie fils d’autre négociant habitants dudit Bourgnounac signés avec nous notaire lesdites parties nayant su dument interpellées »
Minutes notariales de maître Jean François Serieys, Mirandol. A.D.T, 3 E 80/36.
Dans les communautés rurales peu peuplées, pas besoin d’être un brillant détective pour repérer les liens « coupables » entretenus par Untel et Unetelle ainsi « les amours illégitimes » (on emprunte ici le titre du livre de Marie Claude Phan, « Les Amours illégitimes. Histoires de séduction en Languedoc (1676-1786) ne restent pas souvent clandestines et sont découvertes, comme le furent celles de Marie Mader et Pierre Ginestet. Dans ce cas, parfois, si l’homme est célibataire et du même milieu, s’ensuit un mariage rapide (pour notre exemple local, point de noces connues), situation qui ne laisse pas de traces directes dans les archives mais que l’on peut tout de même détecter par une enquête dans les registres paroissiaux en traquant les naissances trop fortement prématurées après le mariage. Sinon, s’ouvre la voie du procès et/ou de l’arrangement chez le notaire. Notre exemple illustre cette pratique qui évite à la communauté la charge de l’enfant. Les clauses de l’accord ci-dessus sont classiques : un versement d’argent pour l’indemnisation des « couches » et la prise en charge de l’éducation de l’enfant, en général jusqu’à ses sept ans. Comparée aux cas savoyards décrits par Monique Courier-Christophe, la somme versée par notre journalier est relativement modique mais notre père est de condition modeste et l’illégitimité sans grand écart social. Quand il s’agit d’une servante « séduite par son maître» (y compris des membres du clergé, couramment impliqués dans ce schéma d’amours ancillaires *), l’inégalité sociale est de mise et les indemnités réclamées sont plus conséquentes.
Jean-Louis Déga, le biographe du père d(Honoré de Balzac, Bernard-François Balssa a publié dans son ouvrage, le texte de l’arrangement passé en 1766 par Bernard Balssa (père de Bernard-François) pour tirer son fils de la prison où il séjournait après les poursuites judiciaires de Marianne Mouychoux pour « gravidation ». Le notaire de Lagarde-Viaur, Jean Aymé s’est rendu à la prison pour officialiser l’accord qui arrête toute procédure judiciaire et stipule premièrement que l’enfant à naître sera élévé par « les dits Balssa », deuxièmement qu’ils verseront deux cents livres pour « tous frais de couches ». La moitié de cette somme est versée séance tenante avec le produit de la vente d’une terre effectuée le matin même. L’indemnité, presque trois fois plus élévée que celle payée par le journalier de notre premier exemple est proportionnelle à la situation sociale de la famille : il s’agit ici d’un laboureur qui sans être aisé est plus solvable qu’un simple travailleur.
* Liaison avec des servantes.
Sans arrangement préalable, la mère célibataire peut, comme Marianne Mouychoux, avoir recours au procès. Pour la fin du XVIIIe siècle (1769-1789), on en trouve trois dans les archives judiciaires de la baronnie de Jouqueviel et deux dans celles de Lagarde Viaur. Détaillons un premier exemple :
« L’an mil sept cent soixante onze et le vingt troisième jour du mois de décembre au village d’Angles paroisse de Bourgnionac communauté de Mirandol en albigeois et dans la maison de Pierre Guitard laboureur environ une heure de l’après midy par devant nous sieur Martial Miquel un des consuls royaux de la présante communauté assisté de maitre Jean François Serieys avocat en parllement assesseur d’office (…)
A comparue Marguerite Guitard fille de Pierre Guitard et Françoise Ginestet agée comme a dit denviron vingt deux ans.* Laquelle après avoir presté serement de dire la veritté sa main mise sur les Saintes Evangilles (…) pour éviter les peinnes portées par lédit du roy Henrri Second, nous a dit quelle a resté en qualité de bergère dans la maison du sieur Trouche meunier au moulin de Lengourp juridiction de Joquaviel lespace de quatre années complètes (…) quelle se trouve enceinte des œuvres de Jean Trouche fils aîné qui la coneüe charnellement environ six fois pendant le tems et espace de la Pâque dernière jusques à la feste dudit Saint Jean dernier dans la maison dudit Trouche et ce dans les momens quil ni avoit queux deux seuls dans la maison que ladite comparante ne pouvait résister aux sollicitations dudit Trouche fils ayné qui lui asseuroit que cela ne servit rien (…) et déclare navoir jamais la connoissance d’autres personnes, et que il lui importe de faire compdamner ledit Trouche à la réparation d’iceux ( ?) dommages et intérêts, et à se charger de la nourriture et entretient de lenfant dont elle se trouve enceinte même aux frais des couches nous requérant de lui concéder acte de sa déclaration pour lui servir de ce quil apartiendra (…)
* Marguerite Guittard est née le 3 avril 1749 (registres paroissiaux en ligne A.D.T, images 2 et 3), elle a donc bien 22 ans. Les études locales des naissances illégitimes (Nantes, Lille, Lyon …) montrent, nous l’avons dit, que partout les filles-mères sont jeunes : la tranche d’âge entre 20 et 25 ans est la plus fournie, âge inférieur à celui du mariage (27 ans pour la paroisse des Infornats).
Il s’agit ici d’une déclaration de grossesse, obligatoire pour les femmes enceintes célibataires ou veuves, conformément à la loi de février 1556 qui est invoquée dans le document (« … pour éviter les peinnes portées par ledit du roy Henrri Second…). En cas de non déclaration, la suspicion d’infanticide est automatique et la peine de mort peut, en théorie tout du moins, être appliquée.
La déclaration est aussi une requête contre le séducteur et une demande de provision, ce qui explique le récit des circonstances de la grossesse. Celui-ci est bref et va à l’essentiel (dates, lieu, nom du père) d’une manière relativement stéréotypée.
La déposition est tardive puisque Marguerite est enceinte de 7 mois mais cette situation d’attente est le cas de la plupart des déclarantes étudiées en Languedoc par Marie Claude Phan (« Les amours illégitimes …, op.cit, p 107). Les femmes découvrent vite leur grossesse (80 % dès le premier mois) et la majorité d’entre elles en font l’aveu au partenaire qui souvent fait des promesses pour trouver une solution qui ne vient pas, ce qui explique la déclaration tardive. Elle a été faite ici auprès du consul et du notaire de la communauté mais elle peut se réaliser aussi ailleurs : à la sénéchaussée ou au bailliage, (Sénéchaussée au sud de la France et bailliage au nord : circonscriptions judiciaires dotées d’un tribunal. Nos communautés dépendent de celle de Toulouse) voire au procureur fiscal. Déclaration ne signifie pas plainte, celle-ci est laissée à la discrétion de la déclarante et vient ensuite, s’il n’y a pas d’arrangement. Dans notre cas, visiblement soutenue par ses parents, Marguerite Guitard s’est adressée à la justice seigneuriale :
« A vous Messieurs les Officiers ordinaires de la baronie de Joqueviel. Supplient humblement Pierre et Marguerite Guittard père et fille (…) plairra à vos grâces Messieurs concéder aux suppliants nouvel acte de votre authorité et condamner ledit Trouche fils a épouser la suppliante et subsidiairement en cas de difficultés le condamner en la somme de mille livres pour tenir lieu a la suppliante de dommages et intérets et cependant luy adjugera la somme de cent livres pour frais de ses couches et à se charger de la nourriture entretien et éducation de lenfant dont elle est enceinte (…)
La justice seigneuriale mène son enquête et convoque, dans la maison qui sert de greffe (celle d’Alexis Martin, un paysan-tisserand de Jouqueviel), quatre témoins qui confirment les liens existants entre Jean Trouche et Marguerite Guitard qui a entretemps accouché :
« L’an mil sept cent soixante douze le douzième jour du mois de février a été baptisé par moi curé soussigné, Jean né d’hier de Marguerite Guitard habitante du vilage d’Angles en cette paroisse qui nous a fait représantion par Pierre Guitard laboureur dudit vilage d’Angles et père de ladite Marguerite Guitard, une déclaration quelle a faite conformément à lordonance dans ledit vilage d’Angles le troisième jour du mois de décembre dernier mil sept cent soixante onze expediée par le sieur Martial Trainier grefiér pris dofice de la communauté le suivant dol dument selée a Pampelone le quatrième de février courant par Massabiau le parrain acte (mot surchargé) ledit Pierre Guitard dudit Angles et la marraine Françoise Ginestet épouse dudit Guitard laboureurs dudit Angles lesquels ont déclarés ne scavoir signé. »
Muratet curé approuvant lécriture
Registre paroissial de Notre Dame de Bourgnounac 1772 (feuille 10 des registres en ligne aux A.D.T.).
Le vingt neuf février mil neuf cent soixante douze, la justice seigneuriale a terminé son enquête et conclut :
« Requerons que ledit Jean Trouche soit saisi au corps (…) conduit en prisons seigneuriales dudit Joucaviel pour y rester a droit jusques avoir suivi les interrogatoires (…) et en cas il ne pourrait estre pris et appréhendé il sera assigné à la quinzaine (…) »
Cette affaire est une illustration locale d’une situation plus fréquente en milieu urbain mais répandue partout en France sous l’Ancien Régime : celle des amours ancillaires, entre deux partenaires socialement éloignés mais qui cohabitent, ou en tout cas se rencontrent, dans le cadre du travail. En effet, Jean Trouche, le « séducteur » de Marguerite Guitard est négociant et fils de meunier, donc d’une condition supérieure à celle de Marguerite Guitard, fille de laboureur et bergère chez le meunier Jean Trouche père. En 1771, Jean Trouche a entre trente et quarante ans (les registres paroissiaux sont lacunaires pour la période de sa naissance), il est encore célibataire, ce qui sans être la règle, n’est pas non plus exceptionnel. Si nous ignorons suites et conclusion judiciaires de cette affaire, nous savons que Jean Trouche n’a pas épousé la bergère Marguerite Guittard mais, en 1774, Marianne Trébosc de la Garouffié. Si l’on s’en tient à son testament de 1789, où il lègue 5000 livres à l’une de ses filles, il avait quelques moyens financiers, il est donc probable qu’il a payé, en dédommagement, la somme relativement importante (1100 livres et l’entretien de l’enfant) demandée par la famille Guitard. Hélas beaucoup de bergères et servantes connurent des dénouements bien plus sordides.
Une seconde affaire est celle d’une femme, elle aussi servante, qui s’est mariée en mai 1780 avec un travailleur des Infornats tout en étant enceinte, depuis janvier, de son ancien maître, châtelain au village de « La Roquette » (Aveyron). Le tribunal conclut :
« de laquelle déclaration lui avons concédé acte pour servir de ce qu’il appartiendra et cependant avons enjoint à la ditte Senergues de se comporter comme elle est obligée de le faire dans l’état de grossesse où elle se trouve jusqu’à accoucher affin d’éviter tout facheux accidant […] lui ayant déclaré que les ordonnances royaux arrêts de réglements prononcent la paine de mort contre celles qui ont ce malheur […].
Le tribunal joue son rôle : empêcher l’infanticide.
Si les deux situations précédentes sont assez courantes, un autre cas en 1780, lui, est plus pathétique :
« Ladite Catherine sa sœur à l’occasion de laquelle il nous aurait appelé tient un peu de l’imbecille et est grandement bègue […] elle a eu le malheur de se laisser engravider […].
Ne pouvant obtenir de réponse claire de l’intéressée, l’avocat-juge se borne alors au constat de grossesse sans chercher à enquêter plus avant. Ici, la victime n’a rien à attendre de la justice.