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De la rupture

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Le droit canon (ou canonique, ensemble des règles juridiques de l‘organisation de l’église et de la vie des chrétiens. Régulièrement révisées, ces règles ce sont figées à la fin du XVIe siècle.) régit le mariage (organisation, empêchements, dispenses …) qui est un sacrement indissoluble une fois qu’il est « consommé ». Les fiançailles, sorte de « mariage à l’essai », quand elles existent peuvent, elles, être éventuellement rompues. L’Église, quelque peu réservée envers cette pratique qui pouvait entraîner des risques de cohabitation juvénile, inacceptables, l’a encadrée. Pourtant, elle est régionalement très variable : en Bretagne au XVIIe-XVIIIe, les fiançailles sont généralisées et obéissent comme le mariage à un rituel strict du droit canon, « in facie Ecclesiea » alors dans certains endroits les fiançailles se déroulaient au cabaret … Ainsi dans les régions du sud de Paris, cette cérémonie est facultative et relativement souple quant à son ordonnancement. Les quelques document que nous avons trouvés concernant les fiançailles dans nos trois communautés, nous laissent croire que notre région relève du second modèle où la rupture de l’engagement peut se réaliser plus facilement comme le montre le texte suivant :

         

                « Supplient humblement Jeanne Lacombe veuve de Jean Delbosc et Marie Delbosc sa fille, habitantes du village del Bosc paroisse dudit Joqueviel, et vous exposent que ladite Delbosc fille s’étant fiancée avec le nommé Guilhaume Reynes, cy devant habitant du village de la Garroufié, que postérieurement ledit Reynes s’étant fait certaines affaires qui portent une très grande atteinte à son honneur et réputation ; que les supliantes voyant le risque et danger où elles s’exposaient en contractant une pareille allience  ce qui fait que ladite Delbosc n’a pas voulu l’épouser ; cependant ledit Reynes a trouvé le secret de sinsignuer dans la maison des supliantes et de leur voler et emporter la plus grande partie de leurs effets et entre autres une paire juilles* , deux pelles à bêcher la terre, une méjane**, une taradouyre***, un capairol [ ?], une grosse biroune****, une aissade*****, et deux bigoussous****** petits, une poile pour faire griller les chataignes […]  »

22 novembre 1773, extrait du dépôt de plainte à la justice seigneuriale de Jouqueviel A.D.T. B 960.

 

* Juilles : longes de cuir qui fixent le joug sur la tête des bœufs.

** Méjane : sur le joug, pièce de fer à double crochet pour tirer la charrue.

*** Taradouyre : tarière pour les tonneaux.

**** Biroune : tarière.

***** Aissade : houe

****** Bigoussous : petite houe à deux dents, (un petit bigos).

 

           La rupture peut se faire d’un commun accord ce qui, même en Bretagne, évite les procédures. Dans notre cas elle est unilatérale, ce qui a provoqué un recours en justice non pas pour officialiser la rupture mais parce que le futur époux éconduit a volé son ancienne fiancée et aussi pénétré à plusieurs reprises à son domicile en la menaçant (seul le vol a été ici retranscrit). Ce sont les filles qui prennent presque toujours l’initiative de rompre alors que les garçons moins prompts à revenir sur leur engagement semblent par contre assez souvent enclins à effectuer des représailles, car la rupture des fiançailles est vécue comme un échec quand la demande n’est pas conjointe. Le motif invoqué ici, l’atteinte à la réputation est un classique du genre parmi les très nombreuses raisons que l’on invoque pour la séparation.

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            Il faut évoquer la deuxième forme de rupture possible : la séparation de biens (et de corps) que maître Albar a dû gérer au moins une fois. En effet, si le divorce est interdit sous l’Ancien Régime et le mariage indissoluble, il est toutefois possible de vivre en séparation de biens ou/et de corps. C’est le cas, unique dans nos sondages des minutes, (ce qui ne signifie pas qu’il est le seul) de « Catherine Falipou femme séparée en biens de Maître Martin Fricou praticien de la Bourdarié » […] « … suivant lordonnance de monsieur le viguier de Lagarde Viaur du vim decembre 1734 » qui donne régulièrement quittance de la pension versée (49 livres tous les six mois) par son « mari ». Nous n’avons pas hélas, l’ordonnance du jugement qui nous aurait indiqué les motifs invoqués par Catherine Falipou pour demander une séparation de biens. Il nous faut donc rester sur notre faim.

            Gwenaël Murphy qui a étudié les cas de séparation dans le Poitou a montré que le phénomène était en priorité urbain : 64 % des demandes pour une population minoritaire. Les procédures sont peu nombreuses : six par an en moyenne pour les trois départements étudiés (Vienne, Deux-Sèvres, Vendée) : les difficultés de procédure pour les épouses désireuses d’effectuer une séparation de biens limitent les « vocations » et la coutume qui tolère le « droit de correction » du mari ne les encourage pas non plus …

            En ville les plaidoiries reposaient sur quelques types d’accusation : débauche dans le jeu et l’alcool (40 %), violences physiques (35 %) et faillite (25 %). En milieu rural, les demandes rarissimes ont des motifs proches mais avec une hiérarchie différente : ce sont les brutalités physiques qui figurent en première place des griefs (42 %), devant la honte publique de la conduite du mari (30 %), les injures (17 %) et les faillites (11 %), ces dernières étant bien plus rares que dans le milieu du commerce urbain mais Maître Martin Fricou avait peut-être fait de mauvaises affaires à défaut de fréquenter les cabarets du Ségala ?

 Thierry COUËT , "Entre Viaur et Candour  1600-1789"

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