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Naissances illégitimes : rares mais régulières

« Le 7ème Juillet 1687 a été baptisé dans leglise St Martial, Joseph [écrit en tout petit au-dessus Alaux] illegitime fils de Marguerite Alaux* de la Regaudié, ignota pater, son parrayn Joseph Guitard de Jocquabiel et marraine Marie Bergounhoune aussi dudit lieu presents Anthoine Andrieu clerc et Vedel Anthoine de Canezac lesquels requis de signer avec moi ont dit ne scavoir en foy de ce. »

Rodat curé

Registre paroissial de Saint Martial (Jouqueviel), 1687. 

* Fille d’Antoine Alaux, brassier et de Marguerite Doumairou.

 

            Un siècle plus tard :

            « L’an mil sept cent quatre vingts dix le vendredi vingt deuxième jour du mois  janvier a été  baptisée par moi, curé soussigné, Jeanne Marie née ce jourdhui de père et mère inconnus présentée au baptème par Marianne Astruc, sage femme, épouse de Michel Massot du Carrelié, le parrain a été Piere Savy clerc de paroisse soussigné, la marraine Marie Ichard tous les deus habitants de Bournionac, la marraine a declare ne savoir signer interpellée avec ladite Astruc »

Savy,  Muratet curé

Registre paroissial paroisse de Notre-Dame de Bourgnounac, 1790.

 

            François Rodat, prêtre de la paroisse Saint Martial de Jouqueviel, n’a pas osé éliminer le patronyme de la mère du petit Joseph mais il l’a porté sur le registre en tout petit et probablement après l’écriture de l’acte (remord ?), car l’encre est plus foncée, comme quand on vient de retremper la plume dans l’encrier. Cette hésitation montre l’embarras de bon nombre de membres du clergé, dans une situation qui les met mal à l’aise, mais qui se reproduit assez régulièrement puisque les naissances illégitimes représenteraient, en milieu rural,  environ 1 % du total au XVIIe siècle et un peu plus au XVIIIe siècle. L’estimation que nous avons faite pour la région d’entre Viaur et Candour, à partir de quelques registres paroissiaux (Saint Martial de Jouqueviel, Notre Dame des Infournats, Saint-Christophe et Saint Dalmaze) laisse à penser que l’illégitimité y était un peu moins importante (0,6 % environ) mais il faudrait un dépouillement plus ample et systématique pour fiabiliser cette estimation. Roselyne Hugonnenc qui a étudié dans son mémoire de maîtrise les filles-mères albigeoises au XVIIIe siècle (« Amour et destins des filles-mères albigeoises (1714-1789) »,  s.d Sylvie Mouysset, 2003) constate une augmentation des déclarations de grossesse à cette période tout en restant prudente sur la signification du phénomène : antérieurement, au siècle précédent, la déclaration pouvait être moins forte, avec tout autant de grossesses dans la réalité.

            Il y a d’assez fortes variations dans le temps et dans l’espace pour les taux d’illégitimité. Nous citons ici les chiffres  d’Alain Molinier dans « Enfants trouvés, enfants abandonnés et enfants illégitimes en Languedoc aux XVII e et XVIII e siècles ». Annales de Démographie Historique, année 1973, p 458. En ville à la fin du XVIII e les taux sont bien plus élevés : 8 à 10 % (« Histoire de la France rurale, op.cit., p 381). Yvan Puech dans « Saint-Jean-de-Marcel op.cit., indique pour cette communauté, un taux nettement plus élevé : 2,26 %.

           

              En revanche notre curé de Jouqueviel, lui, a la franchise d’indiquer clairement, après le prénom de l’enfant, qu’il est « illégitime », alors que d’autres clercs (hypocrytes ou précautionneux ?) ne mentionnent rien, se contentant, en ne nommant pas le père de l’enfant , de laisser parler l’implicite déduction ... Ici, en outre, il ajoute en latin, comme s’il n’osait tout a fait le dire clairement en français … de père inconnu. De fait, les modalités d’inscription des naissances illégitimes dans les registres paroissiaux et qui sont réglementées ont varié dans le temps, dans l’espace et selon les scripteurs, car chaque prêtre a son style et ne suit pas toujours les règles imposées … Elles commencent en 1539 avec la célèbre ordonnance royale de Villers-Cotterêts où l’Etat  réglemente, entre autres choses,  l’enregistrement des actes de baptêmes et de sépultures, qui doivent faire foi en justice. La distinction de l’illégitimité est plus tardive (moitié XVII e). Voir :Vincent Gourdon et Isabelle Robin dans « Bâtards et bâtardises dans l’Europe médiévale et moderne » (dir. Carole Avignon, Presses Universitaires de Rennes, 2016) qui ont passé en revue les manières d’enregistrer ces baptêmes spécifiques et indiquent que le terme « illégitime » employé par notre curé, très courant aux XVIe-XVIIe siècles, tend à disparaître pour être remplacé par l’expression  « enfant naturel », au XVIIIe. Ils soulignent cependant que les variations sont difficiles à classer autrement qu’en une collection d’exemples disparates. A Mirandol, en 1790, le curé fait dans la sobriété en se contentant de la formule « né de père et mère inconnus », conforme à la réglementation. Dans les registres paroissiaux, du Ségala mais aussi d’ailleurs, le père est toujours (ou presque) inconnu et beaucoup plus rarement la mère car il faut dans ce cas abandonner l’enfant.                

       Cependant, les mères, pour éviter le scandale officiel ou une trop grosse gêne pour la famille et même pour le curé local, réalisent souvent, comme Marguerite Alaux en 1687, un petit déplacement dans une paroisse voisine pour baptiser leur enfant. Roselyne Hugonnenc qui a dépouillé les déclarations de grossesse au tribunal de la Temporalité d’Albi a recensé les campagnardes venus accoucher à Albi : elles représentent 7,6 % des déclarations et sont issues des zones d’attraction de la ville (le nord albigeois). Trois sont originaires de Jouqueviel et deux de Mirandol, il s’agit de jeunes servantes embauchées chez des artisans (tisserand, cordonnier, coutelier) à Albi, Rabastens ou Najac et qui sont enceintes de leur employeur. Ne résidant plus dans leur communauté d’origine (du moins temporairement), elles déclarent plus facilement leur grossesse à l’extérieur. Yvan Puech, « Saint-Jean-de-Marcel … op.cit. » signale aussi cet éloignement : sur 16 naissances « illégitimes » cinq sont le fait de mère « hors paroisse ». Christine Dousset-Seiden dans « Histoire du Tarn, op.cit indique qu’un tiers des mères célibataires à Albi provient des campagnes environnantes.

            Dans nos deux exemples, parrains et marraines des enfants « illégitimes » ne sont pas des membres de la famille, alors que c’est le choix qui est presque une règle absolue (à l’époque moderne car au Moyen-âge, ce n’était pas toujours le cas) pour les naissances « légitimes ». Ce choix de « parents spirituels » institutionnels et de circonstance est particulièrement net ici en ce qui concerne Pierre Savy, le clerc de paroisse de Mirandol, utilisé, en quelque sorte, grâce ou à cause de sa fonction de  « personnel paroissial ». Il est d’ailleurs à nouveau parrain, le 6 juillet de la même année, d’une petite Marie … Les sages-femmes jouent le même rôle du côté des marraines. En milieu urbain, pour les enfants abandonnés dans les hôpitaux, on fait très souvent appel au personnel soignant. En milieu rural l’abandon d’enfant, faute d’hôpital se pratique dans un lieu public. Si nous n’avons pas trouvé de cas pour nos communautés la pratique existait bel et bien en milieu rural et nous l’avons trouvée juste à proximité :

     « Le 28 d’octobre an susdit (1697) fut trouvée une fillie proche du lieu de la fontaine de Saint André avec un billiet marquant nestoi pas baptisée père et mère incogneus Feust baptisée le mesme jour et apellée Marguerite parain Jean Blanc cordonnier maraine Marguerite Rouquet … »

Registre paroissial de Notre Dame de Laval paroisse de Saint-André- de-Najac.

 (Archives départementales de l’Aveyron, 2E 228-14)

 

           Dans sa thèse de doctorat sur « Le mariage en Savoie au XVIIIe siècle. Les contraintes du choix, les difficultés conjugales, les désordres sexuels », (s.d Jean-Pierre Gutton, 1988), Monique Courier-Christophe, abordant le sujet des naissances illégitimes (chapitre IV) souligne  que A. Lottin  ("Naissance illégitimes et filles mères à Lille au XVIIIe siècle ", R.H.M.C., avril-juillet 1970, p.278-322) a montré qu’en milieu urbain, 70 % des filles qui mettent au monde un enfant illégitime ont perdu leur père ou leur mère, si ce n'est pas les deux, et sont âgées, là aussi dans 70 % des cas, de moins de 20 ans ; la quasi totalité sont des jeunes filles ou des femmes abandonnées. Dans la région, si la jeunesse est bien un trait des mères célibataires conforme à ce portrait, il semblerait - même si l’on ne peut faire d’exemples individuels une règle générale que nous ne pouvons vérifier totalement -  que la famille n’abandonne pas systématiquement les filles enceintes non mariées. En effet, les parents, surtout s’ils connaissent le père, peuvent chercher à régler la situation soit à l’amiable, par l’entremise du notaire, soit en justice. Nous avons trouvé  les deux cas de figure dans les archives locales.
 

 Thierry COUËT , "Entre Viaur et Candour  1600-1789"

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