Ondoiement : une tolérance
Rappelons avant tout que, comme dans beaucoup de registres paroissiaux, le nombre de décès des très jeunes enfants semble sous enregistré : en effet l’on ne retrouve pas dans les registres de décès trace de personnes baptisées (donc nées) sur place et peu susceptibles d’avoir émigré (bien qu’on ne puisse le prouver). Au final, si le tableau peut sembler moins noir que dans d’autres régions de France (pour une fois !) il n’en demeure pas moins que la mort accompagne souvent la naissance. Pour répondre à cet entrelacement de la naissance et de la mort et soulager les parents des enfants morts à la naissance : l’ondoiement*. Cette pratique, tolérée par l’église, avec bien des réticences, doit être enregistrée (articles 5 et 6 de la déclaration d’avril 1736 réglementant les registres paroissiaux). Il s’agit en quelque sorte d’un « petit ou faux baptême » réalisé par une « matrone », c'est-à-dire l’équivalent d’une sage femme (ce dernier terme est employé localement pour la première fois dans les registres paroissiaux de Notre Dame des Infornats, pour Jeanne Cambard, en 1776) sur les nouveau-nés en danger de mort (et parfois morts …). Elle consiste à verser de l’eau sur ces derniers (y compris parfois in utéro) en prononçant la formule : « Je te baptise au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit ». Elle concernerait environ 3% des baptêmes en France au XVIIIe siècle ce qui correspond, à quelque chose près, à la proportion locale pour le siècle (ce qui signifierait que les registres étaient bien tenus). Il faut toutefois préciser que, localement, cette proportion est calculée à partir des cas que nous avons trouvés et qui sont concentrés exclusivement dans les trente dernières années des relevés (1662-1692). Auparavant les prêtres ne semblent pas avoir enregistré cette pratique, dont il faut, à nos yeux, majorer, la fréquence. Quoi qu’il en soit, l’ondoiement montre la quête du « baptême à tout prix », pour des parents soucieux que leur enfant puisse entrer au Paradis.
* Dictionnaire de théologie catholique : « acte par lequel on baptise, sans observer les cérémonies de l’Église », ce qui explique la réticence de cette dernière.
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Abstinence : une prescription mal respectée
S’il n’y a plus guère de mouvement saisonnier des naissances de nos jours, la situation était différente à l’époque moderne. Dans la paroisse des Infornats, (et aussi dans ses voisines …) de décembre à mars, donc sur quatre mois, naissaient quarante pour cent des enfants, autant que pour les six mois suivants (avril à septembre), période où les naissances sont inférieures à la moyenne. L’une des explications avancées pour ces rythmes inégaux des naissances (donc des conceptions) est le rôle de l’Eglise qui ordonnait l’abstinence sexuelle, notamment pendant l’Avent et le Carême*. A l’aune des naissances locales au mois de septembre (conception pendant l’Avent) ou de novembre/décembre (conceptions pendant le Carême) qui ne sont guère en dehors de la moyenne, on en déduit que les prêtres de la paroisse ne devaient pas, sur ce chapitre, exercer une forte coercition sur leurs paroissiens … ou en tout cas, une forte influence ! Il faut donc plutôt privilégier d’autres types d’explications : naturalistes, économiques et sociales. Ainsi, les « basses eaux » des naissances en avril et mai (5,8 % et 6,2 %**) correspondent à de faibles conceptions en juillet et août. On peut y voir là la conséquence des grands travaux d’été pendant lesquels les couples étaient moins disponibles (fatigue, voire séparation pour les saisonniers louant leurs bras). A l’inverse les naissances d’hiver - conceptions de mars à juin- étaient les plus nombreuses. Le printemps serait-il la saison des amours de l’époque ? Autant d’interrogations qui sont des pistes d’analyse dans un domaine où règnent beaucoup d’incertitudes.
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* L’Avent, du quatrième dimanche avant Noël jusqu’au 25 décembre, et le Carême 40 jours après le mercredi des Cendres, date mobile située entre le 6 février et le 10 mars. Périodes dites du « temps clos ».
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** Une égale répartition annuelle donne une moyenne mensuelle de 8,3%.
Prénoms : le catalogue chrétien
Contrairement à nos contemporains, la recherche à tout prix, y compris celui du ridicule, pour dénicher un prénom original à leur progéniture, échappe complètement aux préoccupations des parents de l’époque moderne qui eux reprennent systématiquement ceux des « ancêtres » de la famille. Robert Muchembled, « Société, cultures et mentalités dans la France moderne XVIe-XVII e siècle » (3ème éd., 2013), p 40, voit dans cette reprise obstinée une proclamation de la pérennité familiale face aux décès prématurés de nombreux enfants. L’Église qui a encadré la prénomination (interdiction de prénoms païens) n’impose cependant pas cette méthode qui s’est cependant généralisée peu à peu .
Le système est simple : on donne à son enfant le prénom d’un parent, parfois celui du père ou de la mère mais, le plus souvent, celui du parrain ou de la marraine. Ces derniers très majoritairement, sont l’oncle et la tante : 63 % des cas dont l’on connaît le lien familial (entre 1732 et 1792, période la mieux renseignée de ce point de vue qu’ils soient paternels (cas le plus fréquent), maternels ou par alliance. Quand la réserve avunculaire du parrainage est épuisée, on va chercher les autres membres de la famille (grands parents, cousins, voire frères et sœurs) qui sont moitié moins sollicités. Faute d’avoir un parent disponible, on peut demander à un voisin (e) d’être le « parent spirituel ».
En Europe (Angleterre, France, Italie …), dès le XIVe siècle, le stock de prénoms est puisé dans le réservoir du sanctoral chrétien, ce qui aboutit à une réduction du nombre de prénoms et aussi à une concentration sur quelques « leaders ». Ainsi, dans la paroisse de Notre Dame des Infornats, il n’y a que vingt prénoms différents pour désigner les 220 garçons baptisés au dix-septième siècle (total de ceux dont on connaît le prénom) et les trois plus fréquents - Jean (30%), Pierre (15%) et Antoine (10 %) * servent à prénommer plus de la moitié des enfants. Cette distribution est conforme au modèle régional de popularité de ces prénoms. Réduction de choix et concentration sont encore plus marquées pour les filles : le corpus est réduit à treize prénoms différents et les trois premiers Jeanne (21%), Marie (19%) et Catherine (16 %) sont eux aussi largement majoritaires mais, par rapport aux garçons, moins polarisés sur le premier.
Au dix-huitième siècle, on ne change pas de méthode mais s’amorcent quelques changements. Le catalogue des prénoms s’enrichit, modestement certes, mais nettement quand même : trente pour les garçons et vingt deux pour les filles. Jean a perdu de sa superbe (moins 5 %) mais les « composés de Jean », absents au dix-septième compensent largement avec 14,6% des prénoms. D’ailleurs, ils dépassent Pierre, relégué à la troisième place (13,8 %). Joseph avec 10,9 % des baptisés fait une percée au dépend d’Antoine qui a pourtant progressé (10, 1%). Pour les filles, Jeanne, « leader » incontesté du dix-septième siècle est en voie de disparition (5 % seulement) au profit de Marie qui, avec 24 %, se détache nettement de Catherine qui reste assez stable. Marianne, absente au siècle précédent fait une percée remarquable avec 5 % des baptêmes. La Révolution n’était pas loin … mais pour reprendre la conclusion de Marylène Galibert et Jean Paul Debuiche sur les prénoms à Villeneuve-sur-Vère (« Les prénoms au XVII e siècle à Villeneuve-sur-Vère », Bulletin de la SSABLT, n° LVI, 2002, pp. 87-101. : « il reste que ces innovations sont timides … ».
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* On retrouve pour les garçons, cette trilogie à Villeneuve sur Vère : Même trio de tête à Saint-Jean-de-Marcel mais Antoine est devant Pierre (Yvan Puech, « Saint-Jean-de-Marcel en Ségala et Valdériès son annexe paroissiale (de la préhistoire à l’époque moderne)", SSABLT, 2018, Pour les filles, à Villeneuve comme à Saint-Jean-de-Marcel, Jeanne Marie et Catherine sont aussi dans le trio de tête mais souvent accompagnées de Marguerite et Antoinette.
Pour des détails (notamment les explications de cette popularité) voir H. Duffaut : « Recherches historiques sur les prénoms en Languedoc ». Annales du Midi, année 1900, pp. 329-354. En ligne sur le site Persée. https://www.persee.fr/doc/anami_0003-4398_1900_num_12_46_6704
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Surnoms : on échappe au contrôle par l'imagination
Comme le stock des patronymes a connu lui aussi au fil du temps une certaine concentration, l’on se retrouve avec bon nombre d’homonymes complets (nom et prénom) comme par exemple pour le dix-huitième siècle dans notre petite paroisse : huit Marie Raynal, cinq Jean Raynal, cinq Galard Antoine, six Malaterre Catherine, cinq Raynal Pierre (très nombreux, les Raynal …) etc … Petit casse tête pour les généalogistes démographes et historiens… mais aussi pour les habitants eux-mêmes qui, pour éviter les erreurs, usent à l’envie de sobriquets, visiblement avec plaisir, beaucoup plus que le nécessitaient réellement les homonymies. On peut penser que l’indication du surnom par le curé, dans les registres paroissiaux, se faisait quand son usage était si fort qu’il représentait, en quelque sorte, la véritable identité.
Si l’on s’en tient, pour notre période, au nombre de mentions faites par les prêtres ce « sur nommage » est apparemment plus vivace au dix-septième siècle qu’au dix-huitième mais cette pratique, qui a perduré jusqu’à nos jours en perdant toutefois beaucoup de son intensité, n’est pas facilement quantifiable et bon nombre de surnoms doivent nous échapper. Ce qui est certain c’est que leur usage est socialement très important et puissant car dans tous les autres documents que nous avons consultés, registre de la capitation, minutes notariales, comptes-rendus de la justice seigneuriale …, les surnoms sont également présents. Outre qu’ils évitaient les confusions patronymiques, ils permettaient, beaucoup mieux que l’étroit corpus des prénoms de l’église, d’exprimer la personnalité d’un individu comme le montre leur signification et les mécanismes de leur création. Nous avons relevé une quarantaine de sobriquets, et il y en avait certainement beaucoup plus en circulation. L’imagination des paysans locaux a crée une gamme de surnoms, en gros et a minima, deux fois supérieure au stock des prénoms en usage. Leur élaboration, sans doute largement spontanée, ne facilite pas l’analyse de leur origine mais une partie d’entre eux obéit à quelques modèles repérables. Utilisation d’un diminutif, soit du prénom (Coste Anthoine dit « Touniet », ici avec le double sens possible de niais, « tougno ») soit du nom (Cayrou Jeanne dite « la Cayronelle »), ou bien référence à une caractéristique physique (Ibern Jean dit « Pichou » ou au contraire Hugonet Jean dit « Grandet »), à une activité (Bermond Antoine dit « Tombade », c'est-à-dire fossoyeur), à un trait de caractère (Gayrard Jean dit « Pègue » : collant, geignard), à un lien de famille (Laborie Jehan dit « Cousi »), à un lieu ou un objet (Trezières Jehan dit Gascon et un autre Trezières Jehan, dit Coutelou), à un tic de langage de l’individu (Gayrard Joseph dit Findeau, de Finto regarde ? ). Et là encore reprenons la conclusion de Jean Paul Debuiche et Marylène Galibert : « Le surnom […] reste souvent impénétrable et perdu dans les défaillances de la mémoire au fil des générations. »
Pour traduire ces surnoms du « patois » et pour tout ce qui concerne l’occitan local, quelques habitants des lieux qui parlent encore couramment leur langue maternelle, ainsi que Jean Paul Debuiche et Marylène Galibert, nous ont aidé à mieux goûter le charme de ces sobriquets. Merci à eux et à Jean Louis Déga, pour qui les noms de famille de la vallée du Viaur n’ont pas de secrets.