Jamais en décembre beaucoup en février

En moyenne, sur nos deux siècles, le prêtre (et doyen) de la paroisse des Infornats célèbre un peu plus d’un mariage par an. La célébration ne se fait pas n’importe quand dans l’année et, comme dans la plupart des régions, la répartition mensuelle des mariages est très déséquilibrée.
On ne se marie pas en décembre (une seule union en deux siècles !) car pendant la période de l’Avent, l’Eglise ne tient pas à célébrer de mariage, pas plus que pendant le Carême (mars-avril) et les époux, comme le note Jean-Claude Sangoï, dans « Les mariages dans les proches campagnes toulousaines aux XVIIIe et XIXe siècles » sont, dans ce cas de figure, bien obligés de suivre les impératifs religieux alors qu’ils semblent par ailleurs nettement moins enclins à appliquer les obligations en ce qui concerne leurs relations « intimes » (voir le chapitre sur les naissances). Il précise aussi qu’en mai, la culture populaire veut que ce ne soit pas un bon mois pour se marier : « Mai, mois des fleurs, mois des pleurs », « Seuls les ânes se marient en mai »… Et on ne se marie guère en août, période de gros travaux. Restent les mois d’hiver et notamment février, « le « roi du mariage », qui concentre à lui seul un quart des unions, soit deux fois plus qu’en juin, qui vient en second.
On ne se marie pas non plus n’importe quel jour de la semaine, le calendrier est en quelque sorte contraint. Le Vendredi, jour « maigre » est exclu : un repas de noces n’est pas envisageable ce jour là ! Le samedi, trop près du Dimanche, jour de messe est également écarté. Restent les autres et il semble bien que ce soit le mardi qui l’emporte un peu partout.
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Des mariages tardifs
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Nous avons déjà indiqué en étudiant les naissances que l’âge moyen au mariage (remariages inclus), pour la deuxième moitié du XVIIIe, est de 27 ans pour les filles et 33 ans pour les garçons, ce qui est, pour les filles, légèrement supérieur à la moyenne française (26 ans) et très fortement pour les hommes (28 ans) ; ce qui fait que l’écart d’âge entre époux est aussi nettement plus fort que la moyenne française. Cette moyenne élevée de l’âge des maris est en partie liée au fait que les remariages des veufs sont localement systématiques alors que peu de veuves se remarient (seulement 1% des mariages du XVIIIe pour la paroisse des Infornats est le fait de veuves). Les noces sont souvent secondes.
Diverses études montrent un peu partout en France, une élévation de l’âge au mariage après 1750. Les lacunes des registres paroissiaux locaux qui ne mentionnent pas toujours l’âge des époux, ne nous permettent pas, à notre échelle locale, de confirmer véritablement de manière fiable cette évolution, mais les quelques données que nous avons la rendent fort plausible.
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Au-delà des moyennes si l’on observe les marges statistiques, souvent révélatrices, il est notable qu’il y a peu de mariages précoces : deux filles de moins de 20 ans pour 40 mariages entre 1748 et 1781 et le plus jeune mari a 23 ans. En revanche, huit mariés ont quarante ans et plus, alors que c’est le cas d’une seule épouse. Ces hommes « âgés », à l’exception d’un seul qui a le même âge que sa conjointe qui est veuve (44 ans), ont épousé des femmes toujours plus jeunes d’au moins dix ans. Il s’agit là bien entendu, pour l’homme en tout cas, de remariage. Cette proportion a minima de 20 % (nous n’avons pas vérifié systématiquement tous les cas possibles de remariages) est conforme aux observations faites par ailleurs en France. Hors de ces marges des unions précoces ou tardives, les règles du « mariage moyen » sont celles d’une relative proximité d’âge puisque dans 2/3 des cas, les conjoints ont un écart d’âge inférieur à 10 ans et deux fois sur trois, l’époux est plus âgé que sa femme.
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Forte endogamie
Géographique
Il est de tradition que le mariage se déroule plutôt dans la paroisse de l’épouse ce qui explique que 80 % des épouses de Notre Dame des Infornats, en soient originaires. Ce n’est pas pour autant que les époux se recrutent bien loin.

La carte pour le dix-septième siècle est sans ambigüité, et les résultats sont les mêmes au XVIIIe : 90 % des conjoints proviennent de la zone proche, celle des quinze kilomètres. Bel exemple d’endogamie géographique et qui est la règle dans presque toutes les campagnes françaises de l’époque : comment se marier avec quelqu’un d’une région que l’on ne connaît pas et où l’on ne s’est jamais rendu ? Le taux de notre paroisse est cependant un peu plus fort que la moyenne. On peut l’expliquer par l’absence de ville attractive proche, en conjonction avec la faiblesse des moyens de déplacements, accentuée ici par le relatif isolement géographique. A ce propos, remarquons que le Viaur, sans être une barrière infranchissable, ralentit tout de même un peu les idylles avec les rouergats(es). En plus de ces conditions géographiques qui s’imposent aux habitants, il y a peut-être un comportement de valorisation de l’ici, face à l’ailleurs, fort perceptible dans ce proverbe régional : « Las fillas d’aïci oau un pé fangous, las dé leng, lous ioau toutis dous ». (« Les filles d’ici ont un pied boueux, celles de loin, les ont tous les deux » : Edouard Cayre, « Les mille proverbes de la sagesse. Dictons proverbes et expressions patoises en langue d’oc dialecte tarnais provenant de l’observation populaire de nos campagnes». Selbstverl. 1973.) En tout cas, ce n’est qu’à la fin du dix-neuvième siècle que le cercle des mariages s’élargira donnant un peu plus de poids à l’exogamie. Cette endogamie géographique, pratiquée certainement depuis bon nombre de siècles a progressivement tari le stock des patronymes et a contribué, conjuguée à l’étroitesse du nombre de prénoms, à l’usage des surnoms (voir ci-dessus le chapitre sur les naissances). Elle pourrait aboutir, dans l’espace géographique étroit où se déroulent les mariages, à une endogamie familiale.
Toutefois, les « empêchements majeurs » au mariage pour consanguinité (cousins germains, oncle-nièce ou tante-neveu) imposés par le droit canon sont respectés et une fine stratégie de choix des conjoints évite la plupart du temps de s’adresser à l’Église pour des dispenses de consanguinité pour les « empêchements mineurs » (troisième et quatrième degré de parenté) même si parfois il faut en passer par là pour convoler en justes noces. A noter que la noblesse est confrontée à cet empêchement de manière plus forte : la famille de Faramond aura recours à deux reprises (1613, Jean et Anne de Glandières ; 1765 Augustin Alexandre et Marie-Anne-Charlotte de Michau) aux dispenses, ; le petit nombre de nobles et les stratégies matrimoniales de la noblesse restreignaient le « champ des possibles » …
Nous avons deux cas connus pour la paroisse de Notre Dame des Infornats dans la seconde moitié du dix-huitième siècle et un à Canezac que nous citons ci-dessous presqu’ intégralement car il a par ailleurs d’autres intérêts : il s’agit d’un remariage et d’une homogamie absolue avec des époux plutôt jeunes (ils font donc exception) et tout le monde signe l’acte sauf la mariée ; il faut dire qu’il s’agit de l’union de deux familles de marchands ...
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« L’an mil sept cens soixante dix neuf et le vingt septième janvier, les bans* du futur mariage entre sieur Jean-François Durand, négociant veuf de füe** Catherine Vedel, fils légitime de füe sieur Jean Durand aussy négociant et d’Anne Balssa mariés du village de la Borie de Lezan, paroisse de Notre Dame des Infornats, d’une part, ledit Durand âgé de vingt six ans ; Et Anne Marie Ichard âgée d’environ vingt deux ans fille légitime des sieurs Jean Ichard négociant et d’Anne-Marie Balssa mariés du village de l’Esquilourié, paroisse de Camalières habitante depuis plusieurs années du village de Gafatou sur la présente paroisse de Canezac d’autre part, ayant été publiés au prône*** de la messe de paroisse tant en l’église de Camalières, et celle des Infornats qu’en celle de Canezac le 24 du présent mois sans opposition, ni connaissance d’autre empêchement que celuy du quatrième degré de parenté**** qui étoit entre les susdites parties […] et la dispense des deux dernières publications par elles aussy obtenues à nous exhibées en date du vingt troisième jour du présent mois […]
Nous soussigné Pierre Balssa prêtre curé de Jocaviel délégué par messire Jean Pierre Mauzés et Jean Balssa doyen des Infornats soussignés, avons reçu le mutuel consentement de mariage des susdites parties et leur avons donné en la présente église de Canezac la bénédiction nuptiale avec les cérémonies ordinaires de l’Eglise, présens et consentens ledit Ychard père de l’épouse, Antoine Ychard son oncle, habitant de la Longanhe paroisse de Jocaviel, sieur Joseph Durand capitaine d’infanterie au Régiment de la [Seine ? surcharge peu lisible], François Rossignol oncle de l’époux, soussignés avec nous et l’époux, l’épouse requise de signer a dit ne savoir"
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Mariage Jean-François Durand et Anne-Marie Ichard, paroisse de Saint-Martin de Canezac, feuille un et deux du registre (1779-1782) en ligne sur le site des A.D.T
* bans : délai avant le mariage, trois proclamations à l’église lor de la messe dominicale afin que les empêchements possibles au mariage puisent s’exprimer. Ici, les mariés ont obtenu dispense des deux dernières publications.
** feu (mort).
**** Prône, sermon du Dimanche. Outre son aspect religieux, l’on y annonce aussi les mariages et toutes les informations pouvant concerner la paroisse (l’annonce des Etats Généraux de 1789 pour donner un exemple célèbre).
**** Quatrième degré : arrière-grands-parents (Balssa) en commun. Cousins/cousines germains.
A noter, au bas de l’acte, une signature « Fricou » (membre probable de la famille de marchands de la Pégarié) alors qu’il n’est pas cité par le curé Pierre Balssa (frère du doyen Jean Balssa) qui par ailleurs est l’oncle du marié Jean-François Durand . Ce lien familial explique la délégation que lui a faite le curé de Canezac qui aurait dû normalement présider la cérémonie.
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Homogamie socioprofessionnelle généralisée
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Un autre trait marquant des mariages de l’époque moderne est l’homogamie socioprofessionnelle. Dans des communautés comme les nôtres, massivement paysannes et où règne l’endogamie géographique, l’homogamie relative (même groupe socioprofessionnel) est quasiment obligatoire. Trois quarts des futures épouses sont filles de paysan, elles vont épouser un fils de paysan : il n’y a quasiment pas d’autre choix possible. Une analyse plus fine n’est guère réalisable car nos sources ne le permettent pas : dans les actes de mariages (en général et pas spécialement ceux de nos paroisses) les mariées n’ont pas de profession et celle de leur père est l’indication la plus souvent manquante. Impossible de véritablement savoir si une fille de brassier épouse bien un fils de brassier et non pas de laboureur ou de travailleur. Les exemples où nous pouvons connaître, avec certitude (croisement de source avec les minutes notariales), l’origine professionnelle des épousées illustrent tous une homogamie très forte dans toutes les couches sociales. Ainsi deux filles de praticien, épousent la première un fils de praticien et l’autre un fils de « paisant » : elles ne dérogent pas en s’alliant à des brassiers ! Sudre Catherine, une des filles du serrurier des Infornats n’épouse pas, en 1771, un travailleur de la terre mais un maçon de Joqueviel, Sanceré Pierre Jean. Catherine Durand, fille du seul marchand de la paroisse trouve un époux de son rang, en 1791, même si pour cela elle est obligée de s’éloigner un peu, pour convoler avec Gervais Boussac, de la Parrochial (aujourd’hui Laparrouquial) qualifié de « bourgeois ».
Mieux encore avec cet exemple concernant les forgerons, où un fils de forgeron épouse une fille de forgeron … logique, mais la mère de l’époux a fait mieux, elle a épousé (pas en même temps deux forgerons … :
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" L’an mil sept cens soixante deux et le troisième jour du mois de juin environ midi à Lagarde Viaur en Albigeois sénéchaussée de Toulouze , régnant Louis par la grâce de Dieu roi de France et de Navarre, pardevant moi notaire royal soussigné et en présence des témoins bas nommés,ont été faits les traités pactes et conventions de mariage suivants, entre Louis Bousquet forgeron habitant du lieu de Bourhonac fils légitime et naturel de feu Antoine Bousquet aussi forgeron, habitant quand vivait du même lieu et de Catherine Ginestet mariés, cette dernière épouse en secondes noces de Jean Pierre Duran aussi forgeron habitant des faubourgs bas de la ville de Pampelonne au présent diocèse, assisté dudit Durant et de ladite Ginestet et autres ses parents et amis
Dune part et Marie Pradal fille légitime et naturelle de feu Jacques Pradal forgeron et de Magdelaine Calmetes mariés habitants du présent lieu de Lagarde Viaur […]
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Minutes de maître AYME, 1762, folio 20 3E32/319