
Contrats de mariage : la dot : une pratique presque systématique
Le contrat ou " Pacte de mariage", comme on l’appelle alors, n’est nullement l’apanage des plus aisés et presque tous les conjoints passent chez le notaire, avant d’aller voir le curé : le pacte, même quand il ne met en jeu que de faibles sommes, est une pratique à la fois économique sociale et culturelle, généralisée. Notons un cas extrême, après la crise démographique de 1693-95 : le 23 septembre 1696, Granier Pierre, de La Nougairié et De Segons Jeanne (veuve) de La Brousse (St- Salvadou en Rouergue) font un pacte de mariage pour déclarer et enregistrer « qu'ils nom aucun bien en fonds et quils sont fort pauvres ».
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La dot
Pour le notaire de l’époque moderne, la dot est une aubaine, un peu comme le divorce pour l’avocat contemporain : on ne se contente pas d’enregistrer la déclaration initiale lors du pacte de mariage, viennent ensuite les quittances des divers paiements et aussi, assez souvent, diverses contestations. C’est ainsi qu’à la fin de son activité, maître Jean Albar, le notaire de Canezac, consacre plus du quart de ses actes aux pactes de mariage et affaires de dot.
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On peut aussi, quand le mariage ne se fait pas, c’est rarissime (un cas trouvé en 1763 dans les minutes de maître Aymé, folio 140) revenir chez le notaire pour annuler les accords et évaluer les dédommagements aux parties.
Le pacte de mariage présente en introduction les contractants et leurs parents respectifs puis vient la formule de précaution dans l’engagement de mariage :
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« … avec promesse de luy faire ratifier le présent acte a la première réquisition dautre partie entre lesquelles parties a esté convenu et arreté que le susdit Antoine Mercadier et laditte Catherine Fricou se prendront en mariage les solennités de léglise préalablement observées à la première réquisition de lune des dites parties à peine de tous dépends dommages et intérêts contre la refusante »
Pacte de mariage « de l’an mil sept cens trente sept et le vingt quatre du mois daout ».
Minutes de maître Albar, Folio 43.
Au cœur de l’acte, règnent les clauses du pacte et les apports des futurs époux qui peuvent être extrêmement variables, mais toujours au sein d’un même système, celui de la dot qui est généralisée, même s’il y a dans notre échantillon, cinq cas de contrats sans dot en numéraire, sur une trentaine d’actes.
Dots : petites ou grosses
Seules les plus pauvres épouses n’apportent pas de dot, ainsi, le sept janvier 1736, Pierre Mader, brassier habitant le Brésil (commune actuelle de Saint-Christophe) qui va épouser Jeanne Moulis du Ségur, apporte une somme de vingt livres et une terre que sa mère lui donne (valeur trente livres) et sa future épouse, elle, n’a que ses beaux yeux à lui offrir. Au total la corbeille matrimoniale ne contient donc que cinquante livres, ce qui n’est pas un gros capital de départ.
En contraste, le 24 août 1737, la future union d’Antoine Mercadier, fils d’un laboureur de la Bordarié (communauté de Montirat) et de Catherine Fricou, fille du praticien du même lieu, se présente sous de biens meilleurs auspices, tout du moins matériels. Le futur époux reçoit la moitié des biens de son père et le quart de ceux de sa mère et l’épouse apporte la somme de 1153 livres (hors dotalisses). Cette somme en numéraire, la plus élevée des pactes de mariage enregistrés par maître Albar, lors de sa fin de carrière, n’est pas complètement disponible le jour des noces :
« scavoir six cent livres le jour de la nopces et le reste cent livres chaque année jusque à fin de payer sauf la dernière qui ne sera que de cinquante trois livres sans intérest quaprès les termes écheus. »
Cette pratique de versements différés - à crédit et sans intérêts - est très courante (un tiers des cas), y compris pour des sommes bien moins élevées : par exemple 45 livres ont été réglées en neuf annuités de cinq livres.
Entre ces deux exemples extrêmes, le montant de l’apport de l’épouse dans les « corbeilles de noces » est très variable. La moyenne des espèces apportées par les épouses, est de 300 livres. Somme assez faible pour une dot mais cependant conséquente pour les ménages pauvres. De fait, cette moyenne cache des valeurs très dispersées (de 0 à 1153). La moitié des dots a un montant en numéraire inférieur à 100 livres ce qui corrobore l’état de pauvreté d’une grande partie de la population. Jack Thomas, (« Crédit et numéraire dans les campagnes toulousaines au milieu du XVIIIe siècle » » in Maurice Berthe « Endettement paysan et crédit rural dans l’Europe médiévale et moderne. », Actes des XVIIe journées internationales d’histoire de l’abbaye de Flaran (septembre 1995) donne pour maître Laurens notaire à Verfeil, une dot moyenne de 500 livres et un paiement moyen de 165 livres avec le reste à crédit. Dans le Ségala tarnais, plus pauvre que le Lauragais, nous sommes nettement en dessous, mais le schéma général qui consiste à ne payer qu’une partie de la dot est exactement le même. Toujours pour comparer, la dot de Jeanne de Faramond, fille du premier baron de Jouqueviel (Pierre) est, en 1609, de 6000 livres tout comme celle d’Anne de Glandières épouse de Jean (fils de Pierre) de Faramond en 1613. Celle de Charlotte d’Imbert qui épouse Alexandre de Faramond en 1644 (fils de Jean et frère de René, petit-fils de Pierre) atteint quant à elle la coquette somme de 13 000 livres (contrat de mariage réalisé aux Infornats)...
Cette moyenne ne comprend pas la valeur des apports des dotalisses (ou dotalices, partie non monétaire de la dot, elle se compose le plus souvent de cheptel et du trousseau de la mariée.) qui sont présentes dans un tiers des contrats de mariage passés chez maître Albar. Sans être massivement suivie, tout du moins en apparence, car il est possible que cette pratique soit omise par les parties dans certains contrats, cette tradition fait cependant partie du rite habituel du mariage local. Les dotalisses les plus courantes sont composées le plus souvent de 4 brebis avec leurs agneaux (un cas où l’on apporte en plus une génisse) et du «trousseau » comprenant au minimum une ou deux « robbes » auxquelles peuvent se joindre de la toile (cas le plus fréquent), un matelas, des coussins (« plains de plumes ») et une fois seulement alors qu’il fait ailleurs souvent partie du « lot », un coffre fermé à clef. Dans les contrats, elles ne sont jamais évaluées (parfois on donne le prix d’un des éléments). Approximativement, même les plus fournies, n’atteignent jamais la valeur de cent livres, ce n’est donc pas cet apport qui représente l’essentiel de la charge dotale.
De fait, quel que soit son montant, la dot, grossièrement proportionnelle aux capacités financières des parents (mais pas toujours) et aussi… au nombre de filles à marier (l’aînée mieux dotée en général), pèse lourd dans le « budget » des paysans et représente une bonne part de leur endettement. On le perçoit fort bien dans les oppositions au mariage enregistrées par maîre Albar : sur cinq cas répertoriés, quatre ont pour motif des dots jugées excessives par … des créanciers de l’un des futurs époux qui avancent l’argument de « la conservation du privilège de l’ipothèque par préférance à la dot » (Jean Albar, marchand de Laurélie contre Anne Trainier, le 5 janvier 1698 ou encore Pierre Martin, brassier des Infornats contre Anne Teysier de la Borie, le 21 février 1737).
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Dots : d’innombrables chicanes
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Tant que les deux membres du couple sont vivants, il n’y a pas trop de problèmes : le capital dotal (réglé en tout ou partie selon les cas) est géré, par le mari, à sa guise (en principe) car il ne s’agit pas des biens paraphernaux (hors dot, biens personnels) de son épouse. Mais les décès prématurés, qui sont monnaie courante, mettent souvent un terme imprévu au mariage, ouvrant alors une redistribution des biens du couple. La dot est « inaliénable » et en cas de décès précoce de l’épouse - souvent « en couches » ce sont ses héritiers qui en bénéficient : ses enfants, ou s’il n’y en a pas, le plus proche membre de sa famille. Si c’est le mari qui meurt, la veuve bénéficie d’une reprise de dot. Dans les deux cas de figure, les contestations successorales ne manquent pas. Il arrive aussi que les parents de la dotée meurent avant que le capital n’ait été entièrement versé à l’époux, alors les héritiers des parents de l’épouse sont redevables, comme le montre ce recours en justice qui n’est qu’un exemple parmi les innombrables procès générés par les réglements dotaux qui sont de fait des affaires d’héritage et/ou de successions :
« Entre le Sieur Jean Guilbert bourgeois habitant du village de Trebessac, paroisse de Tauriac en Rouergue […] à ce que Monsieur Jean Trouche marchand habitant de Lengourp, paroisse de Joqueviel soit condamné en qualité d’héritier et possesseur des biens de feu autre Jean Trouche son père, à payer au demandeur la somme de cinq cents livres pour reste de la dot constituée à Cécille Trouche épouse du dit Guilbert […]
Audience de la justice seigneuriale de Jouqueviel, 10 juillet 1780.
Cécille Trouche née en 1738, fille du meunier Jean Trouche (décédé en 1772) de Lengourp (paroisse de Jouqueviel) s’est mariée avec Jean Guibbert (ou Guilbert) à Saint-Martial de Jouqueviel, le 18 juin 1764. C’est son frère, « autre Jean Trouche », comme disaient les notaires, qui doit régler la part de la dot non payée par le père avant son décès. Ce dernier, marié à Marie Cayré, en 1734, est le fils d’un encore autre Jean Trouche, marié en 1700 à Françoise Rossignol, lui-même étant le fils de François Trouche, fondateur de cette lignée de meuniers installés au moulin de Lengourp, propriété du seigneur de Jouqueviel. Nous avons souvent rencontré cette famille dans les archives locales à diverses reprises (voir supra les naissances illégitimes).
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Comme le solde des dots est l’objet de versements bien ultérieurs au mariage et qui peuvent s’étaler sur des années, c’est l’occasion, en cas de difficultés (décès prématuré par exemple), de chicanes qui, à Jouqueviel, représentent, à elles seules, un peu plus de la moitié des procès de « successions » : belle illustration de l’importance capitale du régime dotal dans la communauté paysanne locale. Et si l’affaire est aussi sérieuse, c’est que les sommes réclamées par les plaignants atteignent en moyenne 250 livres et ne sont jamais inférieures à 100 livres : l’enjeu vaut la plainte ! Dans deux cas, les réclamations de dots atteignent même des montants un peu plus élevés (500 et 600 livres) mais il s’agit de familles de « marchands » sans doute un peu plus riches, en tout cas de promesses … même non payées.
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Les contrats de mariage qui, outre les dots, peuvent aussi prévoir les modalités de succession, sont des documents notariés peu contestables et reposant sur un accord, c’est ce qui permet sans doute au « juge-avocat » de prononcer, assez souvent dès la première audience, une ordonnance de paiement, accompagnée parfois d’une menace de saisie des biens. Cette mesure fut d’ailleurs ordonnée une fois pour sanctionner un non paiement après un premier jugement. Visiblement efficace dans le cas des dots, la justice seigneuriale est aussi amenée à gérer toutes les dissensions familiales de succession, générées pour la plupart par des décès « ab intestat » (sans testament). Là, les choses sont moins faciles à gérer. Le tribunal demande aux requérants d’apporter des preuves (extraits baptismaux, cadastre, pièces notariées, etc…), il nomme des « experts » pour estimer les biens et ne se prononce jamais à la première audience, ni même à la seconde. Sur une trentaine d’affaires de contestations d’héritage, traitées pendant la période, le renvoi est systématique et en outre, aucun jugement définitif n’est présent dans les archives. Nous pourrions penser à une perte des pièces relatives à ces procès mais le caractère systématique de l’absence de jugement nous fait plutôt croire que la décision n’a jamais été prise par la justice seigneuriale et que les plaideurs ont trouvé une autre solution, soit en négociant (avec un notaire), soit en s’adressant à la justice royale pour régler des affaires trop complexes pour la justice seigneuriale dont on entrevoit là, une des limites.
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Dots : après la mort, « l’augment »
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Bien plus pratiqué que le trousseau, puisque la moitié des contrats le mentionne en conclusion des pactes de mariage, c’est la clause explicite de «l’augment de dot coutumier du pays d’albigeois», c'est-à-dire, la réservation au décès du mari de la moitié de la valeur de la dot en usufruit pour la veuve. Le plus « riche » de nos couples, évoqué plus haut, est le seul à ne pas suivre cette coutume :
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[…] « ET A LEGARD de laugment lesdites parties dérrogeant a lusage du pays dalbigeois se sont donnés, scavoir ledit Mercadier futur époux à ladite Fricou future épouse la somme de deux cent cinquante livres, et ledit Fricou père pour ladite future épouse pour même droit audit Mercadier futur époux moitié moins qui est cent vingt cinq livres pour le survivant dentreux en disposer a ses plaisirs et volontés en deffaut denfans, et en cas denfans en faveur de lun ou et plusieurs diceux » […].
Christine Dousset (« Familles paysannes et veuvage féminin en Languedoc à la fin du XVIIe siècle » dans Dix-septième siècle , 2010/4 (n° 249, consacré à la famille),) souligne que cet engagement de protection des veuves n’était peut-être pas mis en œuvre dans la réalité : sauf trois cas particuliers de remariage, absence totale de mention de retour de dot et d’augment dans le minutier du notaire Ricard, à Marsal. Les registres de maître Albar sont tout aussi muets en ce domaine.
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