Au plan national, dès septembre 1692, l’exportation des grains est interdite. Un an plus tard, les droits de douanes sur les grains sont supprimés et en octobre 1693, les premiers secours se mettent en place.
Régionalement, le 22 octobre 1693 :
« Nicolas de Lamoignon, conseiller d’Etat, intendant de Languedoc sur les avis qui nous ont été donnés que plusieurs habitants des communautés de […]. Joquaviel, Mirandol, Tanus, […] ne sont pas en état de semer leurs terres à cause de la stérilité de la récolte ; à quoi étant nécessaire de pourvoir nous ordonnons … » (A.D.T, C 985) ...
impose une ordonnance comprenant une série de mesures pour distribuer des secours. Par paroisse, quatre personnes sont chargées, sous la surveillance du curé, de répartir des semences. Les maires pourront réquisitionner les grains chez les particuliers, en leur laissant trois mois de grain en provision. Si besoin est, on ouvrira le crédit du diocèse. La même ordonnance, à quelque chose près, sera renouvelée en 1694 et 1695. Quatre jours plus tard, le 26 octobre, les autorités diocésaines se réunissent pour la mise en œuvre de l’ordonnance. Jusqu’en 1696, le diocèse procède à des achats de grains qui sont distribués un peu partout dans la région. Pour cela il emprunte ou parfois bénéficie de propositions « charitables » comme celle du baron de Cestayrols qui, le 29 août 1696 fait, à condition qu’on lui rende en mai, une avance de « 500 cestiers de blé froment, cinquante setiers d’avoine mesure d’Alby ».
Aux archives départementales du Tarn un certain nombre de reçus sont conservés, comme par exemple celui du curé de Pampelonne (Delmas) le 2 novembre 1696 : « Messieurs Laroque et Paillout délivrent à Monsieur le curé de Pampelonne Lunaguet et Teillet la quantité de 45 setiers de seigle [environ quatre tonnes, il y a donc de quoi ensemencer une petite trentaine d’ha] que Monsieur Malry vous a acheté pour le diocèse pour que les curés les distribuent aux particuliers de leurs paroisses pour leur servir de semence (A.D.T, C 986)».
Au total, pour le diocèse, ce sont 1596 setiers de seigle qui sont distribués, la moitié de froment et un peu d’avoine. Dans les divers états de distribution consultés (1694-1696), Jouqueviel et les Infornats sont toujours absents, contrairement à Tanus, Mirandol, Pampelonne, Lasplanques, Teillet, Lunaguet, Moularès, Montirat, Lagarde Viaur, Pont de Cirou, Le Ségur ... Oubliés ? Trop isolés pour la distribution ? C’est possible et si l’on en croit la requête du curé de Teillet, du 8 septembre 1696, les difficultés à distribuer ne manquent pas :
« … vous ordonnez que les paroissiens de Teillet en iront prendre [du seigle] chez Goulesque ou La Roque, ce qui leur est incommode à cause du port, il n’y a pas quatre de ceux qui ont besoin de ces grains qui ayant du bétail pour le porter, il y a de mauvais chemins et deux rudes cottes à monter. Enfin Monsieur faites s’il vous plaît en sorte que nous nous servions du bled que nous avons car a faute de ne pouvoir pas en faire passer d’estranger mes misérables paroissiens ne sèmeront rien ».
Le dernier constat du curé montre bien les limites des mesures prises par l’Etat.
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La crise a dans le diocèse d’Albi visiblement eu des conséquences plus lourdes qu’ailleurs. Avec et derrière la crise, le cortège des misères habituelles : mendicité en hausse (les veuves notamment), endettement de la population (sauf les spéculateurs en grains …). En 1694-95, sur 506 mendiants/errants recensés à l’hospice de Montpellier, 24 % sont originaires du diocèse de Rodez. Interdits de pénétrer dans Rodez, ils tentent de creuser sous la porte Penavayre pour se réfugier à l’hôpital tout proche. A Albi, dès janvier 1693, on recense 1300 mendiants, dont 400 venus de l’extérieur. Ils sont expulsés de la ville mais reviennent plus tard. Ce symptôme, plutôt urbain, le monde rural n’en est cependant pas exempté. Dans les décès de la paroisse des Infornats de 1693, il est fait mention : « le 21 août 1693 est décédée Anne …….. ne sachant point le surnom ny le lieu de sa naissance âgée de trois ans, fut ensevelie le même jour … ». Cette formulation est un cas unique dans les registres du siècle et bien étrange dans un village ou tout le monde se connaît. Comment cette petite fille de trois ans est arrivée là, sans pouvoir être identifiée par quiconque ? Errance des parents avec abandon d’enfant, ensuite recueilli par charité ou nécessité ?
A Saint-André-de-Najac, le curé a noté la mort de quatre mendiants (es) dont une « étrangère » et quinze ans plus tard, lors de la crise de 1710, mendicité et errance sont encore là : « le 16 février mourut Guillaume Alcouffe … mandiant de la paroisse de Joucaviel en albigeoix du village du Tel … âgé de 23 ou 24 ans », certes, l’errance dans ce cas est géographiquement proche mais néanmoins notable et notée …
Les « émotions » populaires escortent régulièrement les crises de cherté des grains. Elles sont à la tête de 75 % des émeutes urbaines de subsistances : Jean Nicolas, "La Rébellion française. Mouvements populaires et conscience sociale 1661-1789", UH Seuil, 2002, page 269. L’auteur emploie pour la période 1692-1694, le terme « l’Apocalypse » (p 229). Les autorités le savent et à Albi les consuls prennent des précautions en armant des soldats et en visitant les greniers. Cela n’évite pas, en juin 1694, une émeute de femmes contre des accapareurs (stockeurs de grains) et en juillet à Gaillac, on assiste à des pillages de grains. Révoltes ponctuelles qui ne débouchent sur aucune « guerre des farines » (vaste mouvement du printemps 1775 dans le nord de la France).
En 1693, la crise tue les jeunes actifs, autant que les enfants et les vieillards, ainsi elle ébranle plus profondément qu’à l’habitude les structures démographiques, nous l’avons vu, mais aussi le tissu économique et social. L’assemblée des Etats de la Province du Languedoc de 1696 note :
« A rapporté que Messieurs les commissaires avaient été informés par Monseigneur l’archevêque d’Alby que la mauvaises récolte […] fut suivie dans le diocèse d’Alby d’une disette et d’une mortalité si grande qu’il y mourut un très grand nombre de personnes et que plusieurs communautés se trouvèrent entièrement dépeuplées […] pour se libérer des poursuites du collecteur et de celles du receveur avaient vendus tous leurs bestiaux et s’étaient mis en cet état en plusieurs communautés de ne pouvoir pas cultiver leurs fonds de terre […] »
A.D.T, C 96, page 97.
Que les impôts ne rentrent pas dans cette situation, les autorités y sont habituées. Les sommes non perçues s’élèvent à 93 131 livres pour la période 1694-1696. Le diocèse (circonscription civile ici) emprunte au roi (100 000 livres) et aux Etats provinciaux (130 000 livres) pour faire face à l’abandon de terres, lui fort peu habituel. Le phénomène est présent à Mirandol où, en 1697, « la métairie de Lasouque était abandonnée depuis trois ans, sans portes ni fenêtres et les terres en étaient incultes » (A.D.T, C 990). On ignore ce qu’il en fut dans la paroisse des Infornats mais quand, d’un coup, huit chefs de familles - donc d’exploitations - disparaissent, le problème de la dévolution de leurs biens ne peut que se poser. A l’ordinaire, la pression démographique étant forte, tant au niveau national (22 millions d’habitants essentiellement ruraux) que local et la terre « rare », au décès d’un paysan, son exploitation (quel qu’en soit le statut) était reprise sans problèmes par un fils ou un gendre, voire - nécessité obligeant - un frère, un cousin ou un jeune oncle. En 1694, ces successeurs potentiels, la mort a pu les emporter.
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