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Faire son testament

              A l’époque moderne, à la différence de la nôtre, même si l’on ne possède pas grand-chose, faire un testament est une pratique extrêmement répandue dans toutes les couches de la population. Il s’agit pour ceux qui ont des biens, même très modestes, de les transmettre d’une manière sûre (document valable devant la justice) et selon sa volonté mais aussi de satisfaire à ce qui est et à la fois un devoir religieux et un véritable rite profane  de passage dans l’au-delà.

             Et puis le risque, si l’on ne fait de testament, '"ab-intestat")c’est de soumettre ses biens  à un partage égalitaire qui démembrera la propriété partagée entre les enfants, funeste éventualité pour un paysan (de ce point de vue, le paysan contemporain contraint au partage aimerait -en tout cas certains- faire un retour en arrière) qui fait donc tout pour l’éviter. Pour éviter cette situation, l’on suit la plupart du temps - pour ne pas dire toujours -  le modèle suivant : les biens sont léguées « en entier » à l’héritier « universel », à charge pour lui de dédommager frères et sœurs, les « héritiers particuliers », par le paiement de la légitime. Classiquement le fils aîné, est le choix le plus fréquent comme héritier universel : un tiers des cas dans les testaments de maître Albar, contre un quart pour les conjoints.

            Le testament est un document codifié, presque un véritable formulaire découpé en cinq parties qui se succèdent d’une manière immuable, du moins jusque vers 1750. A la fin du XVIIe siècle, les formules pieuses se simplifient et diminuent en fréquence et les demandes de messe fléchissent.

Voir à ce sujet, le tableau de  l’article de Serge Briffaud,  « La famille, le notaire et le mourant : testament et mentalités dans la région de Luchon (1650-1790) », Annales du Midi,  année 1985, p. 391sqq.

Marc Venard, Anne Bonzon, s.d Robert Muchembled, «La religion dans la France Moderne XVIe-XVIIIe siècle», Hachette, 2008, p 142.) 

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 « Malades en leur lit » 

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 L'introduction d’un testament, (1736).

 

              «  L’an mil sept cens trente six et le treisieme may apres midy au village del Mas en albigeois régnant Louis roy de France et de Navarre dans la maison de Jean Traynier brassier du village del Mas paroisse de Montirat a esté en personne ledit Traynier lequel étam malade mais sain d’esprit et sachant que nous sommes tous mortels et que l’heure de la mort  est incertaine a vouleu disposer de ses biens comme il sensuit ».

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            Il s’agit là de l’introduction : date, lieu, présentation du testateur et de sa motivation. Cette dernière est presque  toujours la même car  les testateurs sont généralement malades et à l’article de la mort. Seuls deux testaments sont le fait de personnes en bonne santé et trois autres de gens très âgés donc concernés par l’acte de faire leur testament. Dans deux cas seulement, les testateurs mentionnent explicitement, en sus de la maladie, la volonté d’éviter des procès entre les descendants. Ils ont en effet raison, les contestations en justice sont le plus souvent le fait de « de cujus ab intestat » (successions ouvertes sans testament). Cependant, l’existence d’un testament n’évite pas toujours les querelles et les procès. La famille de Faramond (baronnie de Jouqueviel) offre à cet égard un exemple de contestations testamentaires répétées, chez eux, un exercice quasi-obligé !...*

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Faisant le signe de la croix

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La formule religieuse  et les clauses pieuses d’un testament (1736)

 

            « Apres avoir fait le signe de la croix En disant in Nomine patris etc … Recomande son Ame Adieu en disant In Manus tuas etc… voulant qu’après son décès son corps soit ensevely  au simetiere dudit Montirat en tombeau de ses prédécesseurs, et que les honneurs funèbres lui soite faites à la discrétion de son héritière bas nommée ».

 

              Cette formule « religieuse » de recommandation, est toujours la même pour tous les testaments de maître Albar  (elle peut varier un peu chez d’autres notaires) à l’exception bien sûr du lieu de sépulture et de la formule « en tombeau de ses prédécesseurs » qui n’est pas systématique.  A signaler que Jeanne Cournut, veuve de Pierre Martin, barbier de Montirat, est la seule à demander une sépulture dans l’église « à l'endroit que Monsieur le curé et vicaire trouveront à propos ». Cette possibilité pour les simples fidèles, à un moment où elle  était déjà réduite sera interdite en 1776 (déclaration royale du 10 mars : en dehors des ecclésiastiques, « nul ne pourra être enterré dans les églises, même dans les chapelles publiques ou particulières, … »).

              En revanche, les prêtres étaient souvent, comme c’était le cas dans la chapelle des Infornats, enterrés dans leur église : « il y a deux tombeaux pour les prêtres sous la chaire le long de la table de communion » (note du doyen Balssa dans les registres paroissiaux, année 1767). On peut aussi citer le cas de Jean de Ciron, prêtre de Lagarde Viaur qui dans son testament du trois septembre 1599 précise « veut être enseveli à Lagarde dans la chapelle du Saint Sépulcre ».

             Après les formules religieuses viennent les clauses pieuses, c'est-à-dire les legs à l’église - ici absents -  et les demandes de messes :

 

 «A donné et légué la somme de quinze livres pour dire des messes moytié hautes* et le reste basses*, dans l’an de son décès, la moytié dans léglise de Montirat et lautre moytié dans léglise que bon semblera à son héritière ».

 

  * Messes hautes : les prières y sont chantées, basses (petite messe) elles y sont simplement récitées.

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            Pour les premiers, seul  un tiers  des testateurs, comme dans notre exemple, ne sacrifie pas au legs rituel de « cinq sols par bassin de l’église » qui est très répandu : une sorte de don automatique, une habitude sociale mais qui est loin quand même d’être systématique. Une seule personne fait preuve d’originalité dans le legs pieux : Catherine Martin, femme de Jean Fricou, marchand de la Pégarié « lègue deux livres d'huille de noix pendant 10 ans » au luminaire de l’église de Bors (Aveyron, Bor-et-Bar actuel).

            Pour les secondes, elles ne sont pas généralisées : un quart des testateurs (mais seulement deux femmes) ne demande pas de messe particulière pour le repos de leur âme. Si la pratique n’est pas universelle,  elle s’avère aussi très variée dans le détail pour la nature des services demandés. Le modèle le plus fréquent est celui cité ci-dessus, des messes basses et hautes (au moins deux de chaque catégorie) pendant l’année du décès. Cependant certains se contentent de messes lors du décès, alors que quelques uns (peu nombreux) allongent la période du « bout de l’an » [Nom donné à la messe anniversaire (un an) du décès.] à plusieurs années : 2 ans, 4 ans, 5 ans … et un cas extrême de six messes hautes de requiem tous les ans. Ce dernier service a un coût de cent livres … et est demandé par un carabinier natif du Ségur mais qui ne semble plus résider sur place. Il s’agit d’un cas singulier tout comme la demande «  qu'il soit chanté en haut pour le salut de son âme les litanies de notre dame festes et dimanches pendant un an dans l'église dudit Bors »  (Marguerite Cathala, fille de brassier).        

               Difficile, sur un faible échantillon d’expliquer cette variabilité constatée des demandes de messes (intensité de la foi, capacité financière ?) mais il faut bien garder quelques mystères dans le domaine des rapports entre la mort et la religion !

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Humbles legs pour la plupart

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              Les formules religieuses précèdent la véritable dévolution des biens, seule partie du testament où le testateur peut exprimer sa liberté,  à l’aide du notaire garant des règles et coutumes. Nous avons décrit plus haut le schéma habituel du partage.

           Dans notre exemple ci-dessous, la situation est un peu plus complexe et le legs classique est entouré de multiples clauses de précautions qui reflètent la situation familiale  de notre testateur : remarié, visiblement sans enfant de sa deuxième épouse mais avec un fils jeune d’un premier lit.

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Testament d’un brassier remarié, 1736.

 

        « […] a donné et légué à Jean Traynier son fils et de feue Marianne Mercadier sa première femme la somme de quatre cens cinquante livres pour le droit de légitime  a luy appartenant sur ses biens payable ladite somme cens livres le jour qu’il se mariera ou quand il aura vin cinq ans et le surplus cinquante livres annuellement jusques afin de payement sans inthéret qu’après termes écheus » […] .

 « […] Et en ca ledit Jean Traynier son fils viendrait a décéder sans enfans et sans avoir consommé  ledit légat il veut que lesdistes quatre cens cinquante livres leguées vienent  et en faveur  de Magdelaine Reynes sa mère ou à celui quelle nommera pour hériter de la maison a donné et légué à Françoise Trouche, sa femme en seconde noces, deux robes burat* l’une meslé de bleu et noir et l’autre de Nimes une jupe … coatillon jaune  deux devantals burat et une veste aussi burat couleur marrong   a condition que moyennent ce mesme ne demande aucun habit de deuil sur les biens du testateur, et en cas ladite Trouche serait enseinte ledit testateur donne au postume soit masle ou femelle la somme de cens livres argent payable la moitié lors qu’il aura vim cinq ans ou qu’il viendra a se marier et le reste vim livres annuellement  sans intherêt qu’après termes escheus […] ».

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* Burat : tissus de laine grossière.

 

Pour clore le testament les formules juridiques finales qui lui donnent sa légitimité en justice :

(1736)

 

           «[…] et finalement a donné et légué a tous autres ayan droit de prétendre en ses biens a chacun cinq sols et en termes escheus  ses biens ledit testateur a fait et institué pour son héritière universelle et générale et nommée de sa bouche ladite Magdelaine Reynes sa mère pour en faire et disposer à ses plaisirs si veut tant en la vie qu’en la mort, et la dessus dit estre son testament voulant qu’il vaille comme codiscille ou donnation en cas de mort […] en annulant tous autres  […] Recitté et donné a entendre audit testateur presens maitre Pierre d’Audrier […] habitants dudit village de la Pégarié et ledit d’Audrier habitant dudit village del Mas soussignés Antoine Lagrifoul forgeron et Pierre Martin hoste dudit Montirat, Antoine Lafon maître charron habitant dudit village del Mas, Pierre Feniès brassier de la Clède paroisse de Saint Michel et Joseph Blanc fils de maître Jean dudit village del Mas lequel avec ledit Lafon et les autres susdits scachant  [?] ledit testament a dit ne scavoir de ce requis  […]

 

             Jean Traynier, pour un brassier, est  relativement "aisé" si l’on s’en tient au montant du legs. En effet, sur la quarantaine de testaments réalisés par Maître Albar (41 sur les deux périodes dépouillées), cinq seulement concernent des sommes conséquentes (plus de 1000 livres), les autres sont largement inférieures et la motivation de beaucoup des testateurs relève autant du rite funéraire que de la nécessité financière (en dehors de la terre qu’il faut transmettre) de transmission d’un patrimoine important. Sur les 36 testaments dont on connaît la profession du testateur, la moitié sont ceux de brassiers. Rien d’étonnant : ils représentent, en nombre, l’essentiel de la population locale. En règle générale, sauf exception comme ci-dessus, ils n’ont pas grand-chose à léguer : moins de cent livres pour la moitié d’entre eux. Mais l’autre moitié a des legs de valeur variée qui montrent que la situation des brassiers n’est pas celle d’une pauvreté absolue et généralisée même si ce groupe social n’atteint jamais vraiment la petite aisance (ou moindre pauvreté) que certains laboureurs peuvent connaître.

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Les testatrices

                   Un bon tiers des testaments est le fait des femmes, quasiment toutes épouses de brassiers. A proportion de leur nombre, on  constate que les femmes testent un peu moins que les hommes sans être écartées totalement de la dévolution des biens alors qu’elles sont démunies, sauf les veuves non remariées, du pouvoir de leur gestion. Soulignons tout de même que ce sont essentiellement des veuves qui testent : deux tiers des testatrices …

                 Le montant des legs féminins est assez contrasté. Soit il est quasi inexistant, comme c’est le cas pour Anne Savy, des Gazets, «une pauvre mandiante », qui le 17 février 1737, règle 5 livres pour des messes, mais ne peut rien léguer à sa sœur, faite héritière universelle, ou bien encore Marguerite Cathala, fille de feu Guillaume Cathala, brassier, qui,  le 5 novembre 1736, n’a à léguer que ses habits (à sa mère et à sa sœur). En contraste, trois testatrices (veuves de brassiers) lèguent à chacun de leurs enfants des sommes allant de trois cents à cinq cents livres, ce qui au total, comme ils ont plusieurs enfants, représente des legs supérieurs à 1000 livres et une femme de marchand, Catherine Martin, déjà citée pour son don d’huile, lègue 600 livres à chacun de ses cinq enfants. Hélas, l’on ne connaît jamais la valeur des biens légués à l’héritier universel. Ces écarts sur un échantillon faible ne sont peut-être pas significatifs, mais  en tout cas, en ce qui concerne les trois veuves de brassiers, compte tenu de la profession des époux décédés, ils sont difficiles à expliquer. Bien que nous n’ayons pas été en mesure de vérifier exactement les filiations de ces testatrices, notons toutefois que le patronyme de jeune fille de ces veuves : Bauguil, Moulis, Balsa, est celui de familles locales de laboureurs. Il peut donc s’agir de femmes bien dotées lors de leur mariage. Ajoutons que les deux laboureurs qui ont testé chez maître Albar en cette fin du XVIIe  font des legs nettement plus importants que ceux des brassiers : celui de Jean Doumayrou de la Pégarié se distinguant particulièrement avec plus de 2000 livres (capital d’une dette sur la famille Balsa de Palaporc).

 Thierry COUËT , "Entre Viaur et Candour  1600-1789"

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