
La Noblesse
« Nulle terre sans seigneur, nul seigneur sans titre »
Ce double adage féodal mérite d’être précisé et illustré dans le cadre de nos trois communautés. Premièrement, un seigneur n’est pas forcément un noble : ce peut être l’église qui possède la seigneurie comme ce fut le cas à Montirat qui dépendait de l’évêché d’Albi (archevêché après 1676) ; voire un bourgeois (la famille Ginestel pour la même communauté de Montirat). Ensuite, le territoire d’une paroisse ne correspond que très exceptionnellement à celui d’une seigneurie : à Mirandol, plusieurs seigneurs (domaine royal, famille de Calmont, de Rodat, de Roquefeuil …) sont présents et à Jouqueviel où ne se trouve qu’un seul seigneur, celui-ci possède aussi quelques fiefs dans les communautés limitrophes de Montirat et de la Salvetat-Peyralès mais également plus loin en Aveyron (Balsac, Prades) où il réside le plus souvent. Enfin, un titre de seigneurie peut changer de mains : le seigneur de Trévien, Bernard de Castelpers, achète, en 1645, la seigneurie de Montirat avec clause de rachat par l’évêché qui récupèrera ses droits quelques années plus tard. A la fin du XVIIIe siècle, la famille de Saint-Hilaire vend ses terres à Antoine Martin, marchand de Montirat. Quand les nobles ne résident pas dans leur seigneurie (ou dans l’une d’entre-elles …) et qu’ils en sont pratiquement toujours absents (duchesse du Lude) ils se contentent d’y exercer les ponctions financières (les censives) et laissent de côté les autres pouvoirs. Dans nos trois communautés, seule celle de Jouqueviel connaît une tutelle noble complète (cens, banalités, droit de justice).
La famille de Faramond
La seule famille noble constamment présente pendant toute l’époque moderne entre Viaur et Candour est celle des « de Faramond », propriétaire de la baronnie de Jouqueviel. Leur domaine qui couvre pratiquement tout le terroir de cette communauté a été constitué, à la fin du seizième siècle, par Pierre de Faramond (orthographié Framond le plus souvent) à partir de l’héritage laissé par son beau-père, René de Vernhes (ou Lavernhe) mort, en 1593, sans héritier mâle et qui avait acheté les terres de Jouqueviel à l’évêché de Rodez, en 1565. Le fils de Pierre de Faramond, Jean, puis son petit fils, René, vont faire face pendant presque tout le dix-septième siècle (1623-1688) à un mouvement de rébellion des habitants qui refusaient le paiement de leurs droits seigneuriaux (voir infra, chapitre l'affrontement, l’analyse détaillée de cet épisode). A sa mort, en 1689, le conflit est réglé en sa faveur et René de Faramond lègue à son fils Alexandre une seigneurie qui, enfin, n’est plus contestée. Alexandre meurt sans descendance en 1725, la baronnie passe alors à son frère Pierre, vicaire général de l’archevêché de Narbonne, prieur du Bosc et « abbé de Jouqueviel », jusqu’en 1738, date de sa mort, puis ensuite à un autre frère Jean-Jacques, issu lui du deuxième mariage de René de Faramond ; il meurt en 1755. Le dernier seigneur de Jouqueviel, avant la Révolution, est son fils, Augustin-Alexandre, le seul des Faramond à résider un peu régulièrement en son château de Jouqueviel, les autres ayant plutôt préféré celui de Balsac qu’ils possédaient depuis 1619, grâce au mariage de Jean de Faramond avec Anne de Glandières, sa cousine. Augustin-Alexandre a vendu la résidence de Balsac en 1779.
Le château et la seigneurie de Jouqueviel : secondaires
Il se trouve que nous avons deux descriptions du château de Jouqueviel (Fonds de Faramond 60 J 41, Archives départementales de l’Aveyron), la première date de 1681 quand René de Faramond fait réaliser l’inventaire des dégâts liés à vingt ans d’occupation de ses propriétés par les habitants de la communauté et la seconde, d’août 1790, quand Augustin-Alexandre de Faramond mandate des experts pour évaluer les destructions réalisées lors de l’attaque du château par les paysans révoltés, le mardi 9 février, pendant qu’il était au carnaval de Rodez …
Les inventaires sont souvent un peu fastidieux, à lire comme à publier, ceux du château de Jouqueviel n’échappent pas à la règle et en outre la description centrée sur les dégâts ne permet pas toujours de se faire une idée claire des bâtiments. Quoi qu’il en soit, ce n’était pas Versailles, pas plus en 1681 qu’en 1790 ! Les experts de 1790 font en introduction, une description générale :
« Et avons reconnu qu’il y avait cinq appartements auran de chaussée et cinq par-dessus et le galetas. Et ensuite, quatre autres petits appartemants attenant au chatau ».
Le corps principal a donc un étage où l’on monte par un escalier en pierre de taille et en tout une dizaine de pièces qui semblent toutes bien "équipées" : une seule chambre ne dispose pas de cheminée en pierre de taille, les fenêtres sont vitrées avec « grilles », la cuisine et le salon sont joliment pavés, et le château dispose de « commodités ». Les boiseries en noyer sont le seul élément un peu luxueux qui soit mentionné. Une cave, une écurie (belle mangeoire et rateliers), une étable et deux granges avec greniers, un jardin, complètent les pièces d’habitation et le tout est entouré de murailles et surmonté d’une petite tour carrée à étages qui visiblement servait de prison : « … forte porte toute neuve, trois gros gonds, trois grosses pantures qui embrassaient toute la largeur, deux gros et forts cadenats …»).
Pierre de taille, ferrures et boiseries (planches, poutres, portes et fenêtres …) et aussi « couverts » (toitures) furent les victimes principales de la « visite » des paysans dont les dégâts furent estimés par les experts à 21 000 livres (somme assez élevée si l’on considère que la valeur d’une petite maison n’atteint pas les mille livres).
Au total, au regard des critères de l’époque, il s’agit d’une habitation qui sans être somptueuse est tout de même fort bien équipée, confortable et assez grande pour loger une famille nombreuse (cas des Faramond) dotée de domestiques (six en 1696). Pourtant, les de Faramond ne devaient pas la trouver adaptée à leur rang ou à leur goût. Évidemment, il faut dire qu’ils possèdent par ailleurs une demeure plus agréable, le château de Balsac en Aveyron, où ils résident le plus souvent et une maison à Rodez. Donc, Jouqueviel était une résidence secondaire pour la famille de Faramond qui n’occupait les lieux qu’occasionnellement : il faut bien surveiller de temps en temps l’état des futures récoltes .... Mais, quand le seigneur s’y rend, tout est prévu, ou en tout cas l’approvisionnement en viande, comme on l’apprend par le biais d’un acte de vente d’une des métairies du baron (26 janvier 1789, Fonds de Faramond, A.D.A 60 J 41) :
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« (…) et sera tenu encore ledit Bauguil de délivrer et fournir pendant sa vie quinze livres veau de bon endroit et de recepte en viande fraiche par semmainne pendant tout le temps que ledit seigneur habitera le château de Joqueviel même quoi que le seigneur narrivat audit Joqueviel que le samedy ou en partit le lendemain ou tel jour qu’il lui plairroit et dans quelle saison que ce soit laquelle viande ledit seigneur faira venir prendre chez ledit Bauguil les samedis et dans le cas que ledit Bauguil n’en ait pas égorgé le même jour dans ce cas il sera tenu de donner quatre livres dix sols au domestique du seigneur pour en aller prendre ailleurs (…)
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Le régime alimentaire de la noblesse semble nettement plus carné que celui des paysans …
Grâce à un document (Fonds de Faramond 60J 10, « Estat du bien du sieur baron de Joqueviel », document non daté mais que l’on peut situer aux alentours de 1670 grâce aux allusions faites au procès du baron contre la communauté de Jouqueviel) faisant le point sur les biens du baron,on peut mesurer le poids de la baronnie de Jouqueviel dans les revenus fonciers de la famille de Faramond :
« Plus il a la terre de Joqueviel en pays dalbigeois laquelle a presque toujours esté affermée et rapporte mille livres dafferme, elle consiste en rente foncière et portable, avec tout droit de justice et directité et baronie. Il y a maisons preds et vignes et bois, nobles. ».
Mille livres, c’est huit fois moins que ce que rapportent ses autres biens fonciers, tous situés dans l’Aveyron (Balsac, Prades et Canet pour l’essentiel). En ce qui concerne la valeur du patrimoine, même si nous n’avons pas les sources pour en calculer les divers éléments qui le composent, il est certain que la baronnie de Jouqueviel n’en constitue pas le morceau de choix et qu’elle est un peu délaissée par les de Faramond.
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Noblesse d’épée et noblesse de robe : des liens
Si les barons ne séjournent pas souvent en leur château de Jouqueviel, ce n’est pas seulement qu’ils le trouvent moins digne de leur rang que leurs autres demeures mais c’est aussi qu’ils sont, en tant que soldats, au service de leur majesté et qu’ils partent régulièrement « en campagne ». Ainsi, pendant les dernières phases des guerres de religion (1585-1595), Pierre Framond (« seigneur de Miramond et Joqueviel ») est auprès du sénéchal de Toulouse, Jean de la Valette-Cornusson (sa fille Marguerite, veuve, épousera le petit-fils de Pierre, René de Faramond en 1644) pour ramener Mirandol et Tanus dans le camp des catholiques et est amené également, mais cette fois sous les ordres du seigneur de Sanvensa, sénéchal du Rouergue, à commander la défense des garnisons locales de Naucelle, Rieupeyroux, Sauveterre-de-Rouergue. Ce service armé pour le roi, ici dans le cadre de la dernière phase des guerres de religion dans le Languedoc, permet sans doute à son fils Jean de devenir gentilhomme de la Chambre du Roi. Ses descendants ne réussirent pas à se maintenir dans cette position de prestige et n’eurent pas non plus à intervenir aussi localement. Leurs activités militaires se déroulèrent dans des camps plus éloignés du Ségala : Leucate, Collioure, Salses, Privas etc … Parfois de manière très guerrière comme le frère de Jean qui mourut lors du siège de la ville protestante de Montauban (1621) par les troupes catholiques du Vicomte Jean d’Arpajon. Les seigneurs de Jouqueviel semblent bien avoir eu la passion des armes (excepté Pierre de Faramond, prêtre, mais il s’agissait d’un cadet) au-delà de ce que leur état de noblesse exigeait et tout particulièrement le dernier baron qui a beaucoup fréquenté les champs de bataille notamment en Italie où il fut blessé à deux reprises ; le terme de noblesse d’épée leur convient donc parfaitement.
Comme notre propos n’est pas centré sur l’étude d’une lignée noble du Ségala, nous n’avons exploré qu’une partie des très nombreux documents déposées par cette famille aux archives départementales de l’Aveyron. Cependant ces sondages dans le fonds Faramond nous permettent de préciser un peu le profil des barons de Jouqueviel. Nous venons de voir que ce sont des soldats au service de « leur Majesté » et qui entretiennent, de par leur « métier », des relations que l’on peut qualifier de professionnelles, avec la haute noblesse qui les commandait. Ils sont aussi, cette fois-ci, par stratégie matrimoniale, très proches de la noblesse de robe toulousaine. René de Faramond nous l’avons vu plus haut s’est marié avec la fille du sénéchal de Toulouse, ajoutons qu’après le décès de celle-ci (1668) il se remarie immédiatement (1669) avec Françoise de Boyer, petite-fille d’un capitoul de Toulouse (Arnaud de Tournemire). Si l’on en croit une lettre d’un des deux beaux-frères (Joseph Boyer), ce deuxième mariage était fort désiré par la famille Boyer, la noblesse de robe cherchant, elle, à s’allier à la noblesse d’épée :
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[…] scavoir ladite Françoise [Boyer] avec Messire René de Faramond baron de Joqueviel, et quoyque dans le contrat de son mariage avec ledit sieur de Joqueviel retenu par maître Bessier notaire de Toulouse le 24 février 1669, il soit dit que ladite demoyselle testatrisse a constitué de son chef à sa ditte fille la somme de deux mil livres que ledit sieur de Joqueviel receut en argent comptants neantmoins la vérité est que la demoyselle testatrisse ne luy constitua que la somme de mil livres tant seulement pour tout droit de légitime, institution, et héréditaire portion qu’elle pourrait prétendre sur ses biens, les autres mil livres du surplus furent empruntés par la demoyselle testatrisse soubs la caution solidaire de monseigneur Jean Pegarier prestre et prébandier de Saint Etienne à la prière de sa dite fille et pour faire réussir ledit mariage avec ledit sieur baron de Joqueviel […]
Fonds de Faramond 60J 10, lettre en date du 23 avril 1695 adressée à la veuve de René de Faramond décédé le 10 janvier 1689.
En miroir de cette recherche d’un époux avec bon titre de noblesse, on trouve pour René de Faramond, la quête d’une épouse bien dotée apportant « en argent comptants » les liquidités nécessaires à un héritier à la recherche des finances nécessaires au dédommagement de ses frères et sœurs
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Noblesse d’épée et Église une vieille alliance
Plus classique, les liens de la noblesse avec l’Église.
La famille de Faramond respecte les traditions : à l’aîné, ou bien à l’héritier universel désigné par testament, car le fameux « droit d’aînesse » n’a rien de systématique, l’armée et les biens familiaux ; aux cadets et cadettes, « l’entrée en religion » (avec parfois l’étude du droit) ou des biens subalternes. Prenons l’exemple le plus frappant, celui d’Alexandre de Faramond (frère du baron René) et de Charlotte d’Imbert mariés en 1644. Comme la noblesse en général, ils ont une nombreuse descendance (les Faramond en particulier sont très prolifiques) : seize enfants, dont cinq meurent en bas-âge. Sur les onze restants, il y a huit filles dont sept entrèrent en religion et la huitième la seule qui se marie meurt huit mois après le mariage (« en couches ? ») ... Pour les trois garçons, deux sont prêtres (Joseph et René) et le troisième Jean-Philibert de Faramond, sieur de la Calmette qui se marie en 1773 avec Marthe Douziech est bien entendu fait héritier universel avec donation de tous les biens.
Par ailleurs, de nombreuses lettres conservées dans le fonds Faramond montrent les liens que la famille entretient avec le haut clergé local (de Rodez, d’Albi, de Montauban) même si dans le conflit avec les paysans de Jouqueviel ce dernier n’a pas soutenu le baron. Meilleur symbole de cette alliance : au XVIIIe siècle, la baronnie sera tenue un temps (1725-1738) par un membre de la famille appartenant au haut clergé : Pierre De Faramond, docteur en Sorbonne, vicaire général de l’archevêché de Narbonne, prieur du Bosc et « abbé de Jouqueviel ».
Le droit de justice
Le pouvoir seigneurial à l’époque moderne n’est plus celui du Moyen-âge : c’est le roi qui bat monnaie, rend la haute justice, lève les armées et l’impôt. Le fondement du pouvoir seigneurial, celui de la protection, ne dépend plus de la puissance des armes du seigneur mais plutôt de celle de ses relations comme le montre par exemple l’intervention déjà évoquée d’Alexandre de Faramond auprès de l’archevêque d’Albi en 1712, après un orage de grêle particulièrement violent (conférer le chapitre sur la crise de la fin du dix-septième siècle).
Cette « ombre de seigneurie » (formule du marquis d’Argenson en 1765) laisse tout de même à celui qui en est à la tête, droits seigneuriaux et féodaux et pouvoir de basse justice. Nous avons décrit les censives du baron de Jouqueviel en analysant leur poids économique pour les paysans mais leur paiement est aussi la reconnaissance par les « habitants feudataires » - une des formules de René de Faramond, baron de Jouqueviel pour désigner ses censitaires - de sa qualité de seigneur noble.
En ce qui concerne les droits de justice, nous disposons d’une partie des jugements de la baronnie de Jouqueviel. Leur étude met à mal certains clichés notamment celui d’une justice de mauvaise qualité et inféodée à son seigneur comme le dénonçait, au début du XVIIe siècle, le juriste Charles Loyseau, dans « Discours de l’abus des justices de village » (1603-1604) et « Traité des seigneuries (1608).
Sur le premier point, le fait qu’à la tête des audiences l’on trouve, non pas un juge mais un avocat et sans doute, comme dans bon nombre de justices seigneuriales, d’un rang subalterne, n’implique pas l’incompétence de celui-ci. Tout d’abord, la vérification des compétences techniques des juges seigneuriaux est imposée par la loi : ordonnance d’Orléans de 1560 et édits de 1693 et 1704. Ensuite, depuis 1610, les avocats doivent être, non plus seulement gradués, mais licenciés en droit (trois ans d’études à partir de 1679). Et enfin, autant que nous puissions en juger … au regard des délibérés, les jugements à Jouqueviel, apparaissent, le plus souvent relever du bon sens. Nous ne pouvons guère en dire plus à ce sujet.
Sur le second reproche, il est plus facile de se prononcer, en analysant les affaires impliquant directement le seigneur de Jouqueviel. Notons d’abord qu’elles sont exceptionnelles. En tout et pour tout, de 1767 à 1789, trois procès seulement sont menés par le baron de Jouqueviel qui a donc fait un usage personnel très modéré, en tout cas en fréquence, de « son bras armé ». Les deux premières fois (1773 et 1777), il réclame, par le biais de Jean François Durand, marchand à La Borie de Lézan (sa famille est évoquée infra dans les remariages) des « rentes censives » (en argent et en nature) impayées par deux de ses fermiers, depuis plusieurs années. Pour la dernière, en 1784, il porte plainte directement contre un tisserand de 42 ans, Guillaume Reynes habitant du Teil (hameau du Tel, aujourd’hui centre du village) pour vol de branches de châtaigniers et coupe de chênes sur sa propriété. Ce faible interventionnisme se remarque aussi, par exemple, dans le domaine de la chasse où dans d’autres régions les procès-verbaux ne manquent pas. Ici, bien que doté d’un garde-chasse attitré, (« Jean Delmas garde chasse et agen de messire de Faramond seigneur baron de Joqueviel les Infornats et autres places habitant du village de la Garrouffié … extrait d’un témoignage du 9 septembre 1785), le baron ne semble pas enclin à poursuivre le braconnage. Il n’y a aucun procès-verbal de délit de chasse (ou pêche) alors que l’on sait par ailleurs que les habitants s’y adonnent. L'attitude indivividuelle des seigneurs peut-être inverse : Louis de Corcoral, seigneur de Sainte-Gemme menace en 1719 toute la communauté de Mirandol de faire venir les troupes du prévôt d’Albi à propos de la chasse (Monique Douzal, « Une communauté …, op.cit., p 107.
« L’avocat-juge », au service du seigneur, (des « valets », comme le dénonçait Charles Loyseau) s’est-il montré partial dans ces affaires ? En ce qui concerne la réclamation des « rentes censives » de la baronnie, le seigneur est traité exactement comme les autres justiciables réclamant leur argent. Dans un premier temps, le « juge-avocat » renvoie à la session suivante et dans un deuxième ordonne le paiement des rentes, sous huitaine dans un cas et sous un mois dans l’autre.
Pour ce qui est du vol, la procédure mobilise de nombreux témoins (une bonne dizaine) et entraîne l’intervention du procureur fiscal de Lagarde Viaur (c’est toujours le cas pour les vols et les faits de violence). Ainsi, l’affaire échappe à la justice seigneuriale du baron pour être réglée par celle de l’archevêque ; donc l’on ne peut s’appuyer sur la décision de notre « juge-avocat » pour juger de son éventuelle partialité. Par ailleurs, l’on constate la même procédure aboutissant à l’absence de décision de la justice locale, dans une affaire similaire impliquant l’autre « châtelain », Antoine Martin, (marchand de Montirat et acheteur du château de Saint-Hilaire en 1772) qui lui aussi a été dépouillé, en 1774, de cinq « faix de chanvre femelle ». Ce type d’affaire jugé au « criminel » échappe presque systématiquement à la justice seigneuriale.
S’il est donc difficile de se prononcer faute du jugement final, au total, en ce qui concerne l’inféodation à son seigneur, il semble bien qu’il faille absoudre la justice seigneuriale, tout au moins celle de Jouqueviel, de cette tare que lui attribuait Charles Loyseau. Olivier Jouneuaux «Ordre, désordre et irrespect dans les villages d’Île-de-France aux XVII e et XVIII e siècles », in «Les justices de village. Administration et justice locales de la fin du Moyen-Âge à la Révolution », Presse Universitaires de Rennes, 2003.) a les mêmes conclusions en ce qui concerne l’Ile de France : « Les représentants du seigneur, et plus particulièrement le procureur fiscal, n’accaparent pas les audiences avec leurs remontrances. Ce sont les villageois eux-mêmes qui fournissent la cohorte la plus nombreuse des plaideurs. »
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